Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/385

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ches. Déjà il marchait vers les tentes de Messape, où il voyait tomber les derniers feux, et les coursiers dételés paître l’herbe : mais Nisus, qui sent que la fureur du carnage et la soif du sang emportent son ami, lui dit ce peu de mots : « Cessons, voici venir l’aurore ennemie. C’est assez goûter de carnage ; la route nous est frayée à travers les ennemis. » Ils s’éloignent, et abandonnent les dépouilles des Rutules, de magnifiques ouvrages d’argent massif, des armes, des cratères, des étoffes splendides. Euryale cependant enlève les caparaçons des coursiers de Rhamnès, et son baudrier, garni de clous d’or : (9, 360) c’était un don que l’opulent Cédicus avait jadis envoyé à Rémulus de Tibur, gage de l’hospitalité à laquelle, absent, il engageait sa foi. Rémulus en mourant le légua à son petit-fils : après la mort de celui-ci, les Rutules, vainqueurs des peuples de Tibur, s’emparèrent de cette magnifique dépouille. Euryale la saisit, et en pare vainement ses robustes épaules ; il se couvre aussi du casque de Messape, orné d’une brillante aigrette. Tous deux ils sortent du camp et se mettent en sûreté.

Cependant des cavaliers envoyés en avant de la ville de Laurente, pendant que le gros de l’escadron rangé en bataille s’est arrêté dans la plaine, s’avançaient pour joindre Turnus et lui porter un message du roi : (9, 370) ils étaient trois cents, tous portant boucliers, et commandés par Volscens. Déjà ils approchaient du camp rutule et arrivaient au pied des murs assiégés, quand ils aperçoivent les deux jeunes Troyens, qui se détournaient à gauche. L’ombre de la nuit commençait à s’éclaircir ; le casque de Messape trahit l’imprudent Euryale, et brilla tout à coup d’un reflet de l’aube naissante. « Je ne me trompais pas, s’écrie Volscens du milieu de son escadron : arrêtez, jeunes gens ! Pourquoi dans ces lieux ? qui êtes-vous ? Où allez-vous ? » Eux de ne rien répondre, mais de s’échapper au plus vite vers la forêt, et de se fier à la nuit. Les cavaliers s’éparpillant vont se placer aux détours connus du bois (9, 380) et en cernent toutes les issues. La forêt étendait au loin les noirs ombrages de ses chênes touffus et de ses buissons entremêlés : elle était partout remplie de ronces épaisses, que coupaient de loin en loin de ténébreux sentiers. Euryale est empêché par l’ombre des rameaux et par le poids du butin qu’il emporte, et la peur égare ses pas éperdus. Nisus fuit ; et déjà, sans songer à Euryale, il avait échappé aux ennemis, et gagné ces lacs qu’on a depuis appelés les lacs Albains, du nom de la ville d’Albe : là étaient alors les magnifiques pâturages du roi Latinus. Il s’arrête, se retourne, et cherche en vain son ami. (9, 390) « Malheureux, qu’ai-je fait ? s’écrie-t-il. Euryale, en quel lieu t’ai-je laissé ? Où vais-je te chercher ? » Il s’engage de nouveau dans les routes obscures et trompeuses qu’il a déjà parcourues, reconnaît et suit la trace de ses pas, erre au milieu des buissons silencieux. Il entend des chevaux, des bruits d’armes, des cavaliers qui le suivent. Au même instant un cri frappe son oreille, et il voit Euryale, que l’obscurité, l’erreur des chemins et ce tumulle subit ont jeté entre les mains de la troupe ennemie, et qui, accablé, se débat en vain. Que faire ? par quel effort, avec quelles armes osera-t-il (9, 400) dégager son ami ? Ira-t-il se jeter, pour y mourir, au milieu des épées ennemies, et chercher à travers les blessures un beau trépas ? Soudain d’un bras ramené