Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/387

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le père des Romains y maintiendra son empire.

(9, 450) Les Rutules vainqueurs s’emparent du butin et des dépouilles des deux Troyens, et emportent en pleurant le corps sans vie de Volscens dans leur camp. Mais là le deuil n’est pas moins affreux : ce sont les premiers de l’armée enveloppés dans un seul massacre ; c’est Rhamnès mort, c’est Sarranus, c’est Numa. On accourt, on s’assemble autour des cadavres et des guerriers à demi morts ; on voit la terre encore tiède d’un récent carnage, et partout écumer de pleins ruisseaux de sang. On reconnaît parmi les dépouilles des deux Troyens celles des Rutules, le casque brillant de Messape, et ces harnais qui ont tant coûté à reconquérir.

(9, 459) Déjà l’Aurore, abandonnant la couche parfumée de Tithon, répandait une nouvelle lumière sur la terre ; déjà le soleil épanchait ses feux, et rendait aux objets leurs couleurs, quand Turnus, se montrant tout armé, appela ses guerriers aux armes, et rassembla pour la bataille ses phalanges d’airain. Chacun par ses discours divers excite les siens, et allume leur colère. En même temps ils portent, au bout de lances qu’ils élèvent en l’air, deux têtes, déplorable trophée ! qu’ils poursuivent de mille cris insultants : ce sont celles de Nisus et d’Euryale. Cependant les Troyens, endurcis par la guerre, portent toutes leurs forces à la gauche de leur camp, le fleuve couvrant la droite : (9, 470) les uns gardent les immenses fossés ; les autres se sont postés sur les hautes tours : tristes, et le cœur ému, ils voient les deux têtes, hélas ! trop connues d’eux, fixées au bout des piques, et dégouttantes d’un sang noir. Rientôt la Renommée déployant ses ailes rapides fond à travers la ville épouvantée, et, funeste messagère, glisse jusqu’aux oreilles de la mère d’Euryale. Soudain la malheureuse sent la chaleur abandonner ses os ; les fuseaux tombent de ses mains, et le lin déroulé leur échappe. Enfin elle s’élance, désolée, poussant des hurlements lamentables, arrachant ses cheveux ; et elle vole éperdue jusqu’aux remparts et vers les premiers rangs. Les soldats, les périls, (9, 480) les traits, elle brave tout : puis elle remplit les airs de ces plaintes : « Est-ce toi, Euryale, que je vois, toi, le dernier soutien de ma vieillesse ? As-tu pu, cruel, me laisser seule ici ? Et quand tu t’allais jeter dans de si grands périls, ta malheureuse mère n’a pu te parler pour la dernière fois ! Hélas ! tu gis sur une terre étrangère, la proie des chiens du Latium ! Et moi, ta mère, je n’ai point mené tes funérailles, je ne t’ai point fermé les yeux, je n’ai point lavé tes blessures, te couvrant de ces tissus, douce tâche que je pressais pour toi les jours et les nuits, qui consolait les ennuis de ma triste vieillesse ! (9, 490) Où irai-je ? tes membres, tes restes déchirés, tes débris misérables, où les chercher ? Voilà donc, mon cher fils, ce que tu me rapportes de toi ; voilà ce que je suis venue chercher à travers tant de terres et tant de mers ! Percez-moi de vos épées, si vous avez quelque pitié de moi, ô Rutules ; lancez contre moi tous vos traits ; tuez-moi, tuez-moi la première. Ou toi, grand Jupiter, par pitié foudroie cette tête maudite et précipite-la dans le Tartare, puisque je ne puis autrement rompre la trame d’une si cruelle vie. » Ces plaintes ébranlent tous les