Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/415

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revêt le jeune homme, et il couvre d’un voile ses cheveux, que va dévorer la flamme. Il ordonne qu’on entasse sur le bûcher les nobles prix de la victoire remportée sur Laurente, et qu’on y amène en grande pompe toutes les dépouilles des vaincus. (11, 80) Il y joint les coursiers et les armes enlevés à l’ennemi. Alors s’avancent, les mains liées derrière le dos, les captifs dévoués aux mânes de Pallas, et qui de leur sang doivent arroser ses cendres. Il ordonne que ses capitaines portent sur des tronçons les armes ennemies, et que sur chaque trophée soient inscrits les noms des vaincus. On conduit vers son élève le vieil Acétès : tantôt il se meurtrit la poitrine, et se déchire le visage ; tantôt, tombant de douleur, il s’étend sur la poussière. Vient ensuite le char de Pallas, teint du sang rutule ; derrière marche, dépouillé de sa parure, son cheval de bataille, Éthon ; (11, 90) il pleure, et de grandes larmes mouillent sa face. On porte la lance et le casque du fils d’Évandre ; ses autres armes sont aux mains de Turnus vainqueur. Alors s’avancent, fermant la marche, les capitaines troyens et tyrrhéniens, triste phalange, et les Arcadiens, les armes renversées. Après que le funèbre cortège s’est déployé en ordre dans la plaine, Énée s’arrête, et poussant un profond soupir : « D’autres larmes nous sont encore réservées par les mêmes et affreux destins de cette guerre : salut à jamais, grand Pallas, et adieu pour toujours. » Il ne dit que ces mots, se dirigea vers ses hauts remparts et porta ses pas vers le camp troyen.

(11, 100) Déjà se présentaient à lui des ambassadeurs venus de la capitale du Latium : le front ceint de branches d’olivier, ils imploraient d’Énée la faveur d’emporter les corps de leurs compagnons que le fer avait couchés dans la plaine, et de les rendre à la terre. Ils lui représentaient qu’il n’y avait plus à combattre avec des vaincus, avec des hommes privés de la lumière des cieux ; ils le suppliaient d’épargner ceux qu’il avait appelés autrefois ses hôtes et ses alliés. Le héros généreux ne repousse pas leurs justes prières, et leur répond avec une facile bonté : « Quelle fatalité déplorable, ô Latins, vous a engagés dans une si rude guerre ? et pourquoi fuir notre amitié ? (11, 110) Vous me demandez la paix pour des morts, pour ceux qu’ont abattus les aveugles fureurs de Mars ; et moi je voudrais même l’accorder aux vivants. Je ne serais pas venu en ces lieux, si les destins ne m’y eussent appelé pour m’y établir. Ce n’est pas à la nation latine que je fais la guerre. Votre roi a rejeté l’hospitalité qui nous liait à lui, et a mieux aimé se fier aux armes de Turnus. Il eût été plus juste que Turnus vînt lui-même chercher cette mort qui a frappé tant de braves. S’il voulait terminer cette guerre par un grand coup, et chasser les Troyens d’Italie, il était digne de lui de se mesurer avec moi à armes égales. Il vivrait seul aujourd’hui celui de nous deux à qui les dieux et son courage eussent donné de vivre et de vaincre : allez maintenant, et portez au bûcher vos malheureux concitoyens. » (11, 120) Ces nobles paroles frappèrent d’étonnement les ambassadeurs ; ils se regardaient les uns les autres silencieux et immobiles. Alors