Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/421

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la violence vous empêche de donner en père et en roi votre fille à un gendre illustre, et de cimenter par un digne hyménée l’éternelle alliance qui doit vous unir à lui. Si Turnus a frappé les esprits d’une invincible épouvante, eh bien ! supplions-le, et implorons de lui cette grâce pour l’État. Qu’il permette au roi d’user de son propre droit, et qu’il sacrifie le sien à la patrie. (11, 360) Pourquoi, Turnus, toi la cause première de tous nos maux, pourquoi jeter tes malheureux concitoyens dans la sanglante carrière des batailles ? Il n’y a plus de salut pour nous dans la guerre ; tous nous te demandons la paix, Turnus, et le seul et inviolable gage de la paix. Moi-même, que tu t’imagines être animé contre toi (et je ne m’en défends point) je viens à toi le premier en suppliant : aie pitié de tes concitoyens, laisse tomber ton orgueil ; vaincu, retire-toi ; partout battus, nous avons assez vu mourir des nôtres, assez vu se dépeupler nos campagnes désolées. Mais si tu es si touché de la gloire, si tu as une si fière confiance dans ta force, et si la couronne des rois est la seule dot qui te tienne au cœur, (11, 370) ose donc te montrer, et porte intrépidement ta poitrine au-devant des coups de ton ennemi. Eh quoi ! pour que Turnus devienne l’heureux époux d’une princesse, nous, âmes viles, troupe indigne de sépulture et de larmes, nous resterons couchés sur les champs de bataille ! Mais toi, si tu as encore du cœur, s’il te reste un peu de la valeur de tes pères, va regarder en face ton rival qui t’appelle. »

Ce discours enflamma l’âme violente de Turnus ; il gémit de l’affront qu’il dévore, et éclate par ces mots : « Ta bouche, ô Drancès, a toujours des flots de paroles, lorsque la guerre demande des bras ; et quand on convoque les chefs de la nation, (11, 380) tu es le premier au conseil. Mais il ne s’agit pas de remplir la curie de ces grands mots que sans péril tu jettes au vent, tandis qu’un bon rempart tient l’ennemi à distance, et que les fossés ne regorgent pas de sang. Eh bien ! tonne ici avec ton éloquence ordinaire : traite-moi de lâche, Drancès, toi dont le bras rougi par le carnage entasse Troyens sur Troyens, toi dont les trophées décorent çà et là nos campagnes. Mais ces vifs élans du courage, éprouvons enfin, toi et moi, ce qu’ils peuvent : nous n’avons pas à chercher loin les ennemis ; ils sont là qui environnent de tous côtés nos murs. Marchons ; qui t’arrête ? Mars ne sera-t-il jamais pour toi (11, 390) que dans cette langue pleine de vent, et dans ces pieds si agiles à fuir ? Moi vaincu ! Et qui donc, misérable, aura droit de me le dire en face ? qui, s’il voit comme j’ai fait enfler le Tibre du sang troyen, s’il voit toute la maison d’Évandre tomber avec toute sa race sous mes coups, et les Arcadiens dépouillés par moi de leurs armes ? M’ont-ils trouvé lâche et Bitias et le grand Pandarus, et ces milliers de Troyens que ce bras vainqueur a envoyés dans le Tartare, en ce jour où j’étais enfermé dans les murs, emprisonné dans les remparts ennemis ? Plus de salut dans la guerre, nous dis-tu. Va débiter ces lâchetés insensées (11, 400) au chef des Troyens et à ceux de ton parti ; va, répands autour de toi le trouble et la peur qui te travaillent ; exalte