Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/440

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abattu et demi-mort, lui met un pied sur le cou, lui arrache son épée, la lui plonge toute brillante dans la gorge, et lui dit : « Troyen, les voici ces champs, la voici cette Hespérie que tu es venu conquérir ; (12, 360) mesure-la de ton corps étendu : voilà la récompense que reçoivent de Turnus ceux qui osent l’attaquer ; voilà les murailles qu’ils bâtissent ici. » Il dit, lance un dard, et envoie Asbutès accompagner l’ombre d’Eumède : Chlorée les suit, et Sybaris, et Darès, et Thersiloque, et Thymète renversé de son coursier qui tombe. Tel, fondant de la Thrace, Borée déchaîne son souffle bruyant sur la mer Egée ; partout où il s’abat, les flots obéissants courent au rivage, les nuages s’enfuient des cieux : ainsi Turnus, partout où il s’ouvre un passage, voit les bataillons plier, et se précipiter dans la fuite : ainsi l’emporte sa fougue ; (12, 370) il vole, et le vent, qui lui bat le visage, secoue son aigrette mouvante. Cependant Phlégée ne peut supporter tant d’acharnement et tant de fureur ; il se jette au-devant du char de Turnus, saisit le mors écumant des coursiers emportés, et les détourne : tandis qu’entraîné par eux et suspendu au joug, il se découvre, la large lance de Turnus l’atteint, s’enfonce dans sa cuirasse à double maille, la rompt, et entame à peine son sein effleuré : Phlégée, opposant son bouclier à son ennemi, volait lui faisant face, et, l’épée en avant, appelait les siens à son secours : mais l’essieu rapidement lancé le (12, 380) renverse et le roule à terre. Turnus, qui le suit, lui décharge un coup de son cimeterre entre les bords du casque et de la cuirasse, lui enlève la tête, et laisse son tronc sanglant palpiter dans la poussière.

Tandis que Turnus vainqueur semait ainsi la mort dans les champs de Laurente, Mnesthée, le fidèle Achate et Ascagne, ramenaient dans le camp Enée ensanglanté, et qui aidait ses pas tardifs de sa longue javeline. Furieux, il ébranle le trait brisé dans sa plaie, tâche de l’arracher, et demande le secours le plus prompt : il veut qu’on élargisse sa blessure avec la pointe d’une épée, qu’on ouvre une route douloureuse au dard (12, 390) enfoncé ; il veut qu’on le renvoie aux combats. Iapis, fils d’Iasus, arrive ; Iapis cher entre tous à Phébus, qui, touché pour lui d’un violent amour, lui avait donné et les secrets de son art, et tous ses dons, et la science des augures, et sa lyre et ses flèches rapides. Iapis, pour prolonger les destins de son père qu’il pleure encore, aima mieux savoir les vertus des plantes, leur usage salutaire, et pratiquer en silence et sans gloire un art bienfaisant. Énée était debout, appuyé sur sa longue lance, et frémissant de rage, autour de lui se pressent la foule des jeunes guerriers, et Ascagne en pleurs ; (12, 400) lui, l’œil sec, est immobile. Le vieillard, à la manière des disciples d’Apollon, rejetant en arrière les plis de sa robe retroussée, s’agite en vain, essaye des mille attouchements de sa main savante, des mille vertus des herbes ; en vain de ses doigts il ébranle le trait, en vain il le saisit dans la plaie avec un fer mordant. La Fortune, Apollon son maître, tout manque à son art, tout le laisse impuissant ; et cependant l’horreur du carnage s’accroît sur le