Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/441

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champ de bataille, et le péril devient plus pressant pour les Troyens. Déjà la poussière monte au ciel ; on entend de plus près venir la cavalerie latine ; les traits pleuvent au milieu du camp troyen ; dans les airs s’élèvent les cris douloureux (12, 410) des combattants, et de ceux qui tombent sous les coups du cruel Mars. Alors Vénus, ébranlée par les affreuses souffrances de son fils, va cueillir sur le mont Ida en Crète le dictame, chargé de ses feuilles au tendre duvet, et de ses fleurs purpurines. Cette plante n’échappe pas au daim des forêts, quand la flèche légère s’est arrêtée dans ses flancs. Vénus, s’enveloppant d’un nuage ténébreux, apporte de la montagne l’herbe salutaire, la jette dans le vase étincelant d’Iapis, l’y infuse et l’y prépare secrètement, y mêle les sucs efficaces de l’ambroisie et de l’odoriférante panacée. (12, 420) Le vieillard lave la plaie avec cette eau, dont il ignore la vertu divine : soudain la douleur s’enfuit ; le sang s’arrête au fond de la blessure, le trait suit de lui-même la main qui le dégage ; Énée sent renaître sa première vigueur. « Vite, rendez-lui ses armes ; que tardez-vous ? s’écrie Iapis, qui le premier enflamme le courage du héros. S’il revit, ce n’est ni par un pouvoir mortel, ni par un effet de mon art : non, Énée, ce n’est point ma main qui vous sauve ; c’est une volonté plus puissante, c’est un dieu qui vous réserve à de plus grandes œuvres. »

(12, 430) Déjà Énée, avide de combats, avait revêtu ses cuissards d’or ; tout retard le gêne ; sa lance étincelle dans ses mains : il couvre ses flancs de son bouclier, son dos de sa cuirasse, serre Ascagne dans ses bras armés, et, lui donnant à travers son casque les plus tendres baisers : « Apprends de moi, mon enfant, ce que c’est que le courage et la vraie patience ; d’autres t’apprendront le bonheur. C’est toi que mon bras va défendre aujourd’hui ; c’est par moi que tu vas recueillir le prix magnifique de ces travaux. Tâche, ô mon fils, quand l’âge t’aura mûri, de te souvenir de mes leçons : et quand les exemples de ta race te viendront à la mémoire, (12, 440) que ton père Énée, que ton oncle Hector t’excitent à bien faire. » Il dit, et d’un air qui le grandit encore, il s’avance hors des portes, en brandissant un énorme javelot : avec lui se précipitent en troupe serrée Anthée et Mnesthée ; tous les guerriers troyens désertent le camp à flots tumultueux : alors la plaine disparaît dans la poussière, et la terre émue retentit sous leurs pas. Turnus, posté sur une éminence, voit arriver les Troyens ; les Ausoniens les voient aussi, et la peur se glissant dans leurs veines a glacé leur sang. Juturne, avant tous les Latins, entend la première et reconnaît le bruit de la marche d’Énée : épouvantée, elle s’enfuit. (12, 450) Le héros vole, et entraîne dans la plaine, ouverte devant lui, ses noirs bataillons. Tel un nuage, échappé des cieux rompus, accourt du sein des mers vers la terre ; les cœurs des malheureux laboureurs frémissent, hélas ! en pressentant de loin la ruine : il va renverser les arbres, ravager les moissons ; il va tout emporter : les vents volent devant lui, et portent leurs sifflements jusqu’aux rivages.