Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/46

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dont les yeux aiment à se repaître se composent de germes (2, 420) semblables aux germes de celles qui blessent la vue, qui nous arrachent des larmes, ou qui nous paraissent hideuses à voir et repoussantes. Car, pour que certaines images soient caressantes au regard qui les fixe, leurs éléments doivent être polis ; et, au contraire, les images blessantes et rudes ne sont produites que par les aspérités de la matière.

Il existe même des atomes que tu ne peux regarder comme des surfaces unies, et qui ne sont pas hérissés de crocs aigus, mais de petits angles à peine saillants, et capables de chatouiller les sens plus que de les déchirer. (2, 430) Telles sont la lie piquante du vin, et l’aunée au goût amer [430].

Enfin le feu qui brûle, le froid qui glace, mordent tous deux les sens, mais leurs dents ne sont pas faites de même : le toucher suffit pour nous en convaincre.

Car le toucher, grands dieux ! le toucher est ce qui affecte le corps, soit quand un corps extérieur y entre ; soit quand il essuie lui même des pertes qui le blessent, ou que les travaux féconds de Vénus y causent une perte plus douce : soit enfin quand les atomes se choquent au sein de la masse, la bouleversent, et que leur agitation porte le trouble dans les organes, (2, 440) comme tu le sentiras toi-même, si tu frappes avec la main quelque partie de ton corps. Ainsi donc, pour que le choc des éléments excite des impressions différentes, il faut bien que leur structure diffère.

Enfin, les corps qui nous paraissent épais et durs ne peuvent être formés que par des atomes munis de crocs, et pour ainsi dire de branches entrelacées, qui resserrent et assujettissent la masse.

Parmi ces corps et à leur tête se place le diamant, qui méprise les coups ; ensuite viennent les rocs solides, la dure substance du fer, (2, 450) et les gonds d’airain qui crient en soutenant les portes. Les substances liquides, au contraire, doivent être faites de corps polis et ronds, puisque les sucs du pavot sont tout aussi faciles à boire que des eaux pures, puisque les globules liquides ne se tiennent pas, et que tous aiment à rouler sur une pente.

Mais les corps que tu vois se dissiper si vite, comme la fumée, les brouillards et la flamme, ne peuvent avoir ni des atomes polis et ronds, ni des atomes crochus et entrelacés : (2, 460) car ils piquent les sens et pénètrent la pierre, sans former pourtant un amas compact, tel que les buissons épineux. Il est donc facile de voir que leurs éléments sont aigus, et non pas recourbés.

Si tu trouves parmi les fluides mêmes des corps aigres, comme le fluide salé des mers, il n’y a rien là qui doive te surprendre, car toute la partie fluide ne contient sans doute que des atomes polis et ronds ; mais à ces atomes ronds et polis se mêlent quelques éléments de nature blessante. Encore ces éléments ne sont-ils pas armés de crocs qui les attachent ensemble : pour