Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/51

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celles, et de lancer au loin la cendre brûlante. Parcours ainsi toute la nature, guidé par la raison, et tu découvriras que tout recèle les germes de mille corps emprisonnés sous mille formes.

Enfin, tu vois bien des choses qui joignent la couleur au goût, (2, 680) et le goût au parfum ; comme la plupart des offrandes que la superstition arrache, quand elle saisit honteusement les âmes. Ces matières doivent être composées de principes divers : car les odeurs se glissent par où le suc ne gagne jamais les membres, et le suc où les saveurs insinuantes trouvent aussi des voies particulières ; ce qui prouve que leurs atomes ne sont pas faits de même. Des atomes de forme diverse se réunissent donc dans les mêmes assemblages, et les corps se forment de leur mélange.

Bien plus, tu distingues partout dans mes vers mille lettres qui sont les éléments communs de mille mots ; (2, 690) et pourtant tu es obligé de reconnaître que chaque mot, chaque vers ne se compose pas des mêmes éléments. Non que ces lettres communes qui courent de vers en vers soient peu nombreuses, ou que les mêmes ne se rassemblent jamais pour produire deux mots semblables ; mais parce que tous les éléments de tous les mots ne sont pas rangés de même. De cette façon, quoique les autres corps renferment aussi mille principes communs à mille choses, il se peut néanmoins que leur masse diffère : tu aurais donc raison de dire que des atomes différents produisent la race des hommes, les moissons et les arbres fertiles.

(2, 700) Ne vas pas croire pourtant que tous les atomes puissent former des assemblages de toute sorte ; car alors il serait commun de voir naître des monstres, de voir une moitié de bête sur un corps humain, un épais feuillage sur un être vivant, des membres appartenant à la terre joints à ceux que la mer enfante, des chimères enfin vomissant la flamme de leurs bouches empestées, et que la nature nourrirait aussi dans un monde capable de tout produire. Mais il est évident que rien ne se fait de la sorte, puisque nous voyons tous les êtres, formés de germes invariables et naissant à des sources distinctes, conserver leur espèce quand ils croissent.

(2, 710) Il faut bien que leur croissance se fasse dans un ordre déterminé : car toute nourriture fournit à chacun ses atomes propres qui se distribuent dans les membres, et qui, joints au corps, y engendrent un mouvement réparateur. Au contraire, les éléments impropres sont rejetés par la nature, qui les rend au sol ; et souvent le corps humain repousse par un choc et met en fuite des corps imperceptibles, qui ne peuvent ni se mêler à la substance, ni concourir au mouvement vital, et recevoir eux-mêmes la vie.

Ne te figure pas que les animaux seuls soient assujettis à ces lois : une certaine limite sépare tous les êtres. (2, 720) En effet, comme toutes les productions de la Nature diffèrent, elles doivent avoir aussi des éléments de forme différente : non pas que bien des atomes ne soient faits de même, mais parce que tous ne peuvent être