Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/580

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d’une vie languissante. Si ton fils avait eu le même courage, la même affection pour toi, tu ne choisirais pas, pour prier, le temps de combattre, et tu ne deviendrais pas la proie des chiens. Le sort de la jeunesse est bien plus beau. C’est à elle qu’il convient de se battre et de se passer de sépulture. » Il dit, et Aquitès près d’expirer supplie les dieux que son fils ne rencontre pas un pareil ennemi.

Sur toi aussi, Canthus, Argo, qui déjà prévoyait ta mort, pleura, quand malgré lui tu revêtis tes armes. Infortuné ! tu avais franchi la mer de Sythie et atteint le Phase ; (6, 320) encore quelques jours, et tu assistait à la conquête de la toison, et tu revoyais ensuite les montagnes de l’Eubée ta patrie : mais Gésandre te provoque à une lutte inégale, et t’épouvante par ces paroles : « Toi, pauvre Grec, qui croyais trouver ici des maisons commodes et des gens pour t’y recevoir, le pays, comme tu vois, est bien autre que tu ne l’imaginais. L’homme y naît dans la neige ; la vie y est bientôt à charge ; on n’y sait guère manier la rame ; on n’y a pas besoin d’attendre le souffle favorable des vents. C’est à cheval que nous passons l’Euxin, quand les frimas l’enchaînent, et l’Ister, quand il frémit sous ses entraves de glaces. Vos murailles, nous en faisons peu de cas. (6, 330) Je parcours en liberté les campagnes de la Scythie, ayant avec moi toutes mes richesses. Ce que j’aime, ce que je peux perdre, un seul chariot le renferme ; l’ennemi qui me l’enlèverait n’en jouirait pas longtemps. Les troupeaux, le gibier, font toute ma nourriture. Envoie donc rassurer l’Asie, rassurer les Grecs ; jamais je n’abandonnerai ces climats, ces rochers, cette patrie de Mars, où, l’hiver, nous plongeons, pour les endurcir, nos enfants dans les fleuves, où la mort si souvent s’offre d’elle-même à l’homme. Ici donc, sous ce ciel glacial, combattre et piller, voilà tout mon plaisir, et voici le coup que je t’adresse. »

(6, 340) Il dit, et lance un trait, dont les vents de Thrace accélèrent le vol homicide, qui traverse l’épaisse cuirasse de Canthus et s’enfonce dans sa poitrine. Idas, Méléagre, Ménétius, et le vainqueur du tyran de Bébrycie, accourent aussitôt. Télamon étend sur Canthus expirant son immense bouclier ; et, pareil à un lion forcé par les chasseurs, qui couvre ses lionceaux de son corps, l’Éacide, la lance en arrêt, attend l’ennemi de pied ferme, et oppose à la violence du choc son bouclier recouvert de sept cuirs. (6, 350) Les Scythes, de leur côté, s’avancent, tous revendiquant les armes de Canthus et l’honneur d’outrager le corps d’un Grec. De là d’immenses efforts, et une mêlée furieuse autour du cadavre. Tels, se heurtant en masse contre les portes des antres d’Éolie, les Vents se disputent à qui soulèvera les mers, amoncellera les nuages, recueillera enfin tous les honneurs de la tempête ; tels les combattants acharnés se poussent, se serrent les uns contre les autres et ne peuvent se détacher du corps qu’ils ont saisi. Comme un cuir est amolli à force d’huile par des esclaves qui le tendent, le foulent tour à tour (6, 360) et font ruisseler sur la terre l’onctueuse liqueur ; ainsi et avec non moins d’efforts les