Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/583

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que je vais vous faire vous rende favorable à ma prière. Depuis que le vaillant Hercule est exilé d’Argos, Jupiter ne me témoigne plus ni bonté, ni amour. Il dédaigne ma couche, et n’a plus pour moi sa flamme d’autrefois. Prêtez-moi, je vous prie, ces attraits séducteurs, cette parure et ces grâces dont le ciel et la terre éprouvent si souvent le pouvoir. »

Vénus sentit la ruse ; mais, comme depuis longtemps elle voulait elle-même anéantir la Colchide et toute la race odieuse du Soleil, elle saisit l’occasion de satisfaire sa haine ; et, sans attendre que Junon en dise davantage, (6, 470) elle lui donne ce fatal ornement, cette ceinture féconde en prodiges, qui n’inspire ni la fidélité, ni le soin de sa réputation, ni la pudeur, mais les désirs impétueux et passagers, les propos menteurs, les faux plaisirs, les soucis et les folles alarmes. « Voila, dit-elle, tout mon empire, toutes les armes de mes enfants ; prenez-les ; vous pouvez maintenant, selon vos caprices, ébranler les cœurs. »

La fille de Saturne, ivre de joie, s’arme du dangereux présent. Elle prend la figure et la voix de Chalciope, entre dans l’appartement de Médée, et s’approche de la jeune fille. (6, 480) Une lumière qui, malgré Junon, l’a de loin annoncée, jette le trouble et l’effroi dans le cœur de Médée.

« Quoi ! dit la déesse, seule, ô ma sœur, vous ignorez encore l’arrivée des Argonautes et leur alliance avec notre père ? Mais tout le peuple est sur les remparts, qui admire les exploits de ces demi-dieux. Vous seule y êtes indifférente ; seule vous ne bougez de votre appartement, ni du palais. Quand verrez-vous jamais de semblables héros ? »

Et, sans attendre sa réponse, elle la prend par la main, et, marchant d’un pas rapide, elle l’entraîne tout émue de surprise. (6, 490) L’infortunée jeune fille se laisse conduire aux remparts, sans soupçonner le piège et pleine de confiance dans la fausse Chalciope. Tel un lis, à la vie éphémère, à l’éclat passager, éclipse à peine de sa blancheur éblouissante toutes les fleurs du printemps, que déjà l’horrible Notus le menace du choc de ses ailes jalouses.

Hécate, fille de Persès, pleurait alors dans ses sombres forêts, et s’écriait en sanglottant : « Ah ! malheureuse Médée, tu quittes mes bois et tes compagnes, pour aller, contre ta volonté, dans la Grèce, errer de ville en ville ! Oui, tu cèdes à une destinée irrésistible ; mais, ô l’unique objet de mes soins, je ne t’abandonnerai pas. (6, 500) De grandes catastrophes signaleront ta fuite ; tu ne seras pas toujours l’esclave ni l’objet du mépris d’un homme perfide ; il sentira que je fus ta maîtresse, et que je sais punir l’audacieux qui me ravit ma servante. »

Cependant Médée et sa compagne sont arrivées au plus haut des remparts. Elles regardent, et le fracas des armes, le bruit des clairons les glacent d’épouvante. Ainsi, aux approches de l’orage, les oiseaux attristés se réfugient sous les feuilles, et s’y tapissent immobiles et tremblants. Déjà les Gètes, toute l’armée des Ibères et des bataillons entiers de Drances sont massacrés, et roulent dans la poussière. Les blessés, repliés sur eux-mêmes et embarrassés au milieu de