Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/91

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autres sens exercent chacun leur sensibilité propre, nous avons déblayé la route.

D’abord le son et la voix se font entendre dès que leur corps se glisse dans nos oreilles, et va heurter le sens : car il faut bien admettre la nature corporelle de la voix et du son, eux qui ébranlent nos organes. Aussi écorchent-ils souvent le gosier, et la fuite du cri irrite-t-elle les artères. (4, 530) Voici pourquoi. Lorsque les germes de la voix, déchaînés trop abondamment pour des issues étroites, se mettent à fuir, ils comblent les embouchures de la gorge, qui deviennent rauques, et endommagent les voies par où ils gagnent les airs. Or, pour nous blesser, il est incontestable que le son et la parole veulent être des essences corporelles.

Et puis tu sais que de matière nous ôtent, et que de nerfs, que de vigueur usent les conversations soutenues, allongées, depuis les feux naissants (4, 540) de l’aurore jusqu’aux ombres de la nuit obscure : surtout quand les cris accompagnent ce flux de paroles. Ainsi la voix forme nécessairement un corps, puisque de longs discours appauvrissent notre substance.

Les oreilles ne reçoivent pas des atomes de même forme, quand gronde le sourd éclat des trompettes mugissantes, ou la conque recourbée des barbares ; où serpentent de rauques bourdonnements ; et lorsque, dans les vallées de l’Hélicon, un cygne tourmenté par la mort roule le flot plaintif de sa voix mélancolique ?

Les sons arrachés de notre corps, (4, 550) et que nous envoyons par la bouche, notre langue, mobile ouvrière de la parole, les articule, et l’inflexion des lèvres concourt à les façonner. La rudesse de la voix tient à la rudesse de ses éléments, et sa douceur est engendrée par les plus doux atomes.

Si un court espace sépare le berceau de la voix du lieu où elle vole, les paroles elles-mêmes doivent être claires, et les articulations distinctes ; car la voix garde ses inflexions, elle garde sa forme. Mais si elle parcourt un trop long intervalle, (4, 560) l’abondance de l’air confond nécessairement les mots, et bouleverse la voix qui le fend de son aile. Il en résulte que tu peux entendre le bruit, et non distinguer le sens des paroles : tant le son arrive confus et embarrassé !

En outre, souvent un mot, échappé du héraut, frappe les oreilles de tout un peuple. Une seule voix est donc éparpillée tout à coup en mille voix, puisqu’elle se distribue à mille organes, et y imprime des mots aux formes nettes, au retentissement distinct. (4, 570) Une partie de ces voix, qui ne rencontrent pas les oreilles mêmes, passent et expirent sans fruit, disséminées au vent. D’autres, heurtant une masse solide, pierres rebondissantes, envoient un son qui nous abuse ; car il n’est que l’image d’une parole.

Une fois éclairé sur ce point, ami, tu peux te rendre compte, tu peux expliquer aux autres pourquoi, dans les solitudes, les pierres renvoient exactement et la forme et l’ordre des mots, lorsqu’on cherche ses compagnons égarés sous l’ombre