Page:Lucrèce, Virgile, Valérius Flaccus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/95

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tous les vides du corps, qui ébranlent la fine matière des âmes, et qui provoquent leur sensibilité.

Aussi voyons-nous apparaître des centaures, et des formes de scylles, et des gueules de cerbères, et les fantômes des morts qui ont leurs ossements sous la terre. Ces apparitions tiennent aux images partout répandues, et dont les unes naissent spontanément au milieu des airs, dont les autres échappent à tous les assemblages, (4, 740) ou qui sont un effet bizarre de ces espèces réunies. Car il est impossible que les images de centaures soient faites de matière vivante, puisque la matière ne créa jamais un tel monstre ; mais quand une forme de cheval rencontre par hasard la forme des hommes, elles se joignent sans peine, comme nous avons dit plus haut, à cause de leur fine nature, de leur tissu imperceptible.

Toutes les apparences du même genre naissent de la même façon ; et comme tu as vu que ces images déliées sont aussi mobiles que légères, un seul de leurs coups ébranle facilement nos intelligences, (4, 750) qui ont elles-mêmes une légèreté et une finesse merveilleuses.

Ce fait que je rapporte, veux-tu en apprécier la justesse ? Écoute. Si nous apercevons les mêmes choses avec l’esprit et l’œil, il faut bien que tous deux soient affectés de même. Or, tu sais que des lions, par exemple, ne m’apparaissent qu’à l’aide d’images qui vont assaillir mes yeux : tu le vois donc, mon intelligence sera également frappée de ces apparences de lion, ou de tout autre corps, qui sont aussi nettes pour elle que pour les yeux ; seulement, elle reçoit de plus fines images.

De même, quand le sommeil s’est répandu dans nos membres, (4, 760) les intelligences ne veillent encore que pour essuyer ces mêmes fantômes, qui assiègent nos veilles : au point que nous croyons être sûrs de voir un homme qui a échangé la vie pour la mort, et qui appartient à la terre. La Nature nous impose ces illusions, parce que tous les sens dorment engourdis au fond des membres, et ne peuvent combattre le mensonge par la vérité. En outre, la mémoire languit abattue par le sommeil, et ne dément pas nos âmes, lorsque cette proie de la mort et de la tombe leur apparaît encore vivante.

(4, 770) Au reste, ne sois point émerveillé de voir que les images se meuvent, et agitent avec harmonie leurs bras et le reste des membres ; car le sommeil nous offre de ces formes mobiles. Voici comment. Les images, tour à tour évanouies et remplacées par de nouvelles formes aux attitudes nouvelles, semblent avoir changé de gestes. Oui, leur succession doit être fort rapide : tant leurs pieds sont agiles, leurs sources abondantes, et tant la moindre durée sensible voit jaillir de ces parcelles, qui alimentent leur fugitif assemblage !

Il faut encore résoudre mille questions, éclaircir mille points, (4, 780) si on veut expliquer nettement les choses.

On demande, surtout, pourquoi nos esprits forment tout à coup les idées que nos caprices leur imposent [781]. On demande si les images, escla-