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DE LA NATURE DES CHOSES

Sous la religion l’on vit ramper la vie ;
Horrible, secouant sa tête dans les cieux,
Planait sur les mortels l’épouvantail des dieux.
Un Grec, un homme vint, le premier dont l’audace
Ait regardé cette ombre et l’ait bravée en face ;
Le prestige des dieux, les foudres, le fracas
Des menaces d’en haut ne l’ébranlèrent pas.
L’obstacle exaspéra l’ardeur de son génie.
Fier de forcer l’accès de la sphère infinie,80
Des portes du mystère il perça l’épaisseur,
Et, dépassant de loin par un élan vainqueur
Les murailles de flamme et les voûtes d’étoiles,
Sa pensée embrassa l’immensité sans voiles.
De son hardi voyage il nous a rapporté
La mesure et la loi de la fécondité,
Et quel cercle émané de leur intime essence
Des êtres à jamais circonscrit la puissance.
Il pose sur l’erreur son pied victorieux ;
La religion croule et nous égale aux dieux !

Peut-être on te dira que tu cours à l’abîme,
Que la science impie est le chemin du crime.
Eh ! qui plus enfanta d’atroces actions,
Plus de hideux forfaits, que les religions ?
J’en atteste le sang qui coula dans l’Aulide,
Le sang d’Iphigénie, et Diane homicide ;
La vierge lâchement livrée, et les héros,
La fleur des Achéens, transformés en bourreaux !
Le funèbre bandeau sur ce front pur se noue ;
La laine en bouts égaux se répand sur la joue.100