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nouveaux fut marqué — en 1903 — par la grève générale à Rostov-sur-le-Don : encore une explosion spontanée, car la grève se transforma « d’elle-même » en manifestations politiques avec l’agitation dans la rue, des grands meetings populaires en plein air et des discours publics, que le plus enthousiaste des révolutionnaires n’aurait osé rêver quelques années plus tôt.

Dans tous ces cas, notre cause a fait d’immenses progrès. L’initiative et la direction consciente des organisations social-démocratiques n’y ont cependant joué qu’un rôle insignifiant. Cela ne s’explique pas par le fait que ces organisations n’étaient pas spécialement préparées à de tels événements (bien que cette circonstance ait pu aussi compter pour quelque chose) ; et encore moins par l’absence d’un appareil central tout-puissant comme le préconise Lénine. Au contraire, il est fort probable que l’existence d’un semblable centre de direction n’aurait pu qu’augmenter le désarroi des comités locaux en accentuant le contraste entre l’assaut impétueux de la masse et la position prudente de la social-démocratie. On peut affirmer d’ailleurs que ce même phénomène — le rôle insignifiant de l’initiative consciente des organes centraux dans l’élaboration de la tactique — s’observe en Allemagne aussi bien que partout. Dans ses grandes lignes, la tactique de lutte de la social-démocratie n’est, en général, pas à « inventer » ; elle est le résultat d’une série ininterrompue de grands actes créateurs de la lutte de classe souvent spontanée, qui cherche son chemin.

L’inconscient précède le conscient et la logique du processus historique objectif précède la logique subjective de ses protagonistes. Le rôle des organes directeurs du Parti socialiste revêt dans une large mesure un caractère conservateur : comme le démontre l’expérience, chaque fois que le mouvement ouvrier conquiert un terrain nouveau, ces organes le labourent jusqu’à ses limites les plus extrêmes ; mais le transforment en même temps en un bastion contre des progrès ultérieurs de plus vaste envergure.

La tactique actuelle de la social-démocratie allemande est universellement estimée en raison de sa souplesse et, en même temps, de sa fermeté. Mais cette tactique dénote seulement une admirable adaptation du Parti, dans les moindres détails de l’action quotidienne, aux conditions du régime parlementaire : le Parti a méthodiquement étudié toutes les ressources de ce terrain et il sait en profiter, sans déroger à ses principes. Et cependant, la perfection même de cette adaptation ferme déjà des horizons plus vastes, on tend à considérer la tactique parlementaire comme immuable, comme la tactique spécifique de la lutte socialiste. On se refuse par exemple à examiner la question, posée par Parvus, des changements de tactique à envisager au cas de l’abrogation du suffrage universel en Allemagne ; et pourtant cette éventualité est considérée comme nullement improbable par les chefs de la social-