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période 1944-1946. Ne pouvant manifester leur opposition au sein de leur parti en raison de sa structure totalitaire, beaucoup de militants organisés ne peuvent plus exprimer leur réprobation qu’en leur qualité d’électeurs — le referendum du 5 mai l’a démontré pour la France. La liberté de décision de la masse des électeurs apparaît ici comme correctif indispensable aux penchants et méthodes totalitaires des partis.

D’autre part, dans des périodes troubles, surtout après une guerre, l’afflux massif d’éléments novices dans les partis abaisse la maturité et le niveau intellectuel de ces derniers : on l’avait déjà vu lors de la scission de Tours (1920) et au lendemain de mai-juin 1936, et nous constatons aujourd’hui le même phénomène. Les adhérents de la dernière heure n’acquièrent pas la maturité nécessaire au moment où l’on colle les timbres sur leur carte toute neuve : même organisés, ils conservent pendant quelque temps les réactions aveugles et irréfléchies qui caractérisent la masse amorphe et inorganisée.

Rosa Luxembourg se méfiait à juste titre de la grande masse inorganisée des suiveurs, dont l’ignorance était la base, la contrepartie, voire la justification des conceptions totalitaires professées par les léninistes et par les réformistes quant aux rapports entre la masse et les chefs. Un troupeau aveugle et ignare a évidemment besoin d’un berger et d’un chien, que celui-ci s’appelle Guépéou ou Gestapo. Cette méfiance manifestée par Rosa Luxembourg à l’égard de la masse amorphe est toujours de mise. Mais il y a aujourd’hui un fait nouveau : une partie importante de cette masse amorphe de suiveurs a cessé d’être inorganisée, elle est embrigadée dans des partis totalitaires d’obédience fasciste ou bolcheviste. Encasernée et encellulée, elle y suit aveuglément les mots d’ordre les plus stupides et les plus contradictoires, se complaît dans l’adoration béate d’un « fils du peuple » ou d’un « père des peuples » et ne discute jamais les consignes données.

Ce fait nouveau que Rosa Luxembourg n’a pas pu connaître puisque les précurseurs des nazis l’assassinèrent en janvier 1919, devrait solliciter toute l’attention des militants de nos jours et les inciter à y réfléchir. Dans cette brève préface, nous nous bornons à le signaler purement et simplement, en indiquant toutefois que cette analyse devrait expliquer avant tout pourquoi une fraction si considérable des masses populaires de nos jours consent à se dépouiller de toute dignité humaine en se prosternant devant des « chefs ». À notre avis, l’explication de ce phénomène devra être