Page:Luzel - Cinquième rapport sur une mission en Basse-Bretagne, 1873.djvu/39

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— Hélas ! s’écrie alors le cadet, c’est fini ! ils sont partis pour le paradis, où l’on en a sans doute besoin pour quelque grand festin !

Le seigneur se résigna avec peine à la perte de ses bœufs ; pourtant il dit qu’il n’était pas en colère, puisqu’ils étaient allés au paradis.

Le second jour, le cadet fut envoyé garder les pourceaux. Il y en avait un grand troupeau. Il les vendit encore à un marchand qui passait, pour deux cents écus et la queue de l’un d’eux. Le marchand parti, il entra jusqu’à la ceinture dans un marais qui était dans les douves du château, y plongea une extrémité de la queue qu’il s’était réservée, et, feignant de tirer dessus de toutes ses forces, il se mit à crier :

— Au secours ! au secours ! venez vite, vite !…

Le seigneur accourut encore.

— Qu’y a-t-il-donc ? demanda-t-il.

— Ah ! mon bon seigneur, tous les pourceaux se sont pris par la queue, comme les bœufs, puis ils se sont précipités dans le marais et ont disparu ! Mais je tiens la queue du dernier ; venez m’aider à tirer dessus.

Et le seigneur entra sans hésiter dans le marais et saisit la queue du pourceau et tira de toutes ses forces. Mais le cadet lâcha prise alors en disant :

— C’est fini ! ils sont allés en enfer !…

Et le seigneur tomba et faillit se noyer dans la boue. Cette lanière de peau rappelle la livre de chair du Shylock du Marchand de Venise, dans Shakespeare. Le même épisode de la livre de chair se trouve aussi dans le roman de Dolopathos.

On trouve également dans Jehan de Saintré, ch. 24 :

« Ha, madame, dit Madame à la royne, vous taillez larges courroies d’autruy cuir. »

Plaute dit aussi : « De meo tergo degitur corium. »

On trouve deux exemples de cette étrange coutume qui consiste à enlever une bande de peau, depuis le sommet de la tête jusqu’à la plante des pieds, dans les Contes et traditions populaires des Gaëls de l’Écosse, rassemblés par M. F.-J. Campbell. Enfin, dans nos campagnes bretonnes on dit encore communément, comme terme de menace : « Me a savo koreann d’ezhan ! » C’est-à-dire : « Je lui enlèverai courroie ! »