Page:Luzel - Veillées bretonnes, Mauger, 1879.djvu/226

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« Grâces à Dieu, il n’est mort personne, fors trois ou quatre blessés. »

« Il n’est pas possible de voir chose plus horrible et épouvantable que ledit feu. »[1].

  1. Ce n’est pas la grande tour de la cathédrale de Quimper, comme on pourrait le croire d’après le gwerz breton, qui fut frappée par le feu du ciel, mais bien une simple pyramide ou flèche en bois, recouverte de plomb, et qui s’élevait au-dessus de la toiture de l’église, dans la partie qui correspond à la croisée du transsept.
    L’incendie de la Tour de plomb, amplifié et transformé par l’imagination populaire, fournit matière à plusieurs relations plus fantastiques les unes que les autres, et à un gwerz breton, au moins tout aussi merveilleux. Outre la relation de Lenglet-Dufresnoy, qu’on vient de lire, j’en connais une autre, qui en diffère très-peu, imprimée à Paris, en 1620, et qui a été publiée par M. Milin, dans le Bulletin de la Société académique de Brest, tome IV, page 95. Le gwerz breton dont nous avons donné une traduction littérale a été également recueilli par M. Milin, de la bouche d’une mendiante nommée Perrino Poder, native du Ponthou, sur la limite du Finistère et des Côtes-du-Nord. M. Le Men, dans une note de son excellente Monographie de la cathédrale de Quimper, page 221, élève des doutes sur l’authenticité de cette pièce et la qualifie de pastiche maladroit. Les raisons qu’il donne à l’appui de son opinion sont tirées des nombreuses fautes ou inexactitudes matérielles que contient le chant breton. Mais, il suffit d’avoir un peu étudié la poésie populaire, et surtout d’en avoir recueilli aux sources, pour savoir que les inexactitudes et les fautes matérielles les plus choquantes pour le savant, loin d’être des preuves probantes contre l’authenticité d’une pièce, témoignent souvent, au contraire, en faveur de son origine vraiment populaire. Je crois que c’est précisément le cas, ici, et que le savant archiviste est dans l’erreur, quand il parle de pastiche maladroit. Je plaide, du reste, en faveur de l’authenticité du gwerz ann Tour plom avec d’autant plus d’assurance, que je me rappelle très-bien l’avoir moi-même entendu chanter, par l’aveugle Garandel, aux veillées de Kerarborn, en Plouaret, vers 1830 ou 1837. Je ne le recueillis pas alors, et je le regrette, car, plus tard, je n’ai pu le retrouver. C’est, je crois, le seul exemple d’un chant breton entendu dans mon enfance ou ma jeunesse et que je n’ai pu arriver à découvrir postérieurement, quand je me suis occupé de recueillir les chants et autres traditions populaires et orales des Bretons-Armoricains. Dernièrement encore, j’ai fait des recherches, à Morlaix, et plusieurs personnes m’ont affirmé avoir entendu chanter gwerz ann Tour plom, mais aucune n’a pu m’en donner autre chose qu’un canevas incomplet et quelques vers isolés. Je crois que le gwerz a dû être composé, tôt après l’événement, dans les environs de Morlaix, ou dans les Côtes-du-Nord, sur les limites de ce département et du Finistère, non par un témoin oculaire, mais d’après des rapports inexacts et altérés par la tradition orale. Ainsi s’expliquerait facilement la confusion faite par le poète populaire d’une simple pyramide ou flèche en bois appelée ann Tour plom, avec la grande tour de la cathédrale de Quimper. Et quant à la fable du sacrilège commis dans la chambre de la tour, laquelle chambre n’existait pas, elle a son origine, comme je l’ai déjà dit, dans le besoin d’expliquer et de justifier, aux yeux du peuple, la colère du ciel frappant la basilique de Saint-Corentin. le patron de la Cornouaille.