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RIENZI.

Rome au port, ou peut-être la plonger dans l’abîme. Elle fut accablée du coup ; elle ne s’épancha même pas en larmes ni en plaintes ; elle se courba sous l’orage déchaîné sur sa tête et le laissa passer. Pendant deux jours elle ne prit aucune nourriture, aucun repos ; elle s’enferma, elle ne demanda pour toute faveur que d’être seule ; mais le matin du troisième jour elle fut rétablie comme par miracle, car ce jour-là la lettre suivante fut laissée au palais :

« Irène,

« Vous n’aviez pas besoin de ce message pour connaître ma douleur profonde ; vous sentez bien que, pour un Colonna, Rome ne peut plus être une patrie, ni le tribun de Rome un frère. Tandis que j’écris ces lignes, l’honneur me reste, mais c’est un faible secours. Toutes les espérances que j’avais formées, tout le bonheur que je me plaisais à contempler dans l’avenir, tout l’amour que je t’ai porté et que je te porte encore se refoulent sur mon cœur, et je ne sens qu’une chose : c’est que je suis malheureux. Irène, Irène, ta douce figure s’élève devant moi, et dans ces yeux chéris je lis que tu me pardonnes, parce que tu m’as compris ; quelle que soit la tendresse avec laquelle tu m’aimes, tu aimerais mieux encore me voir perdu pour toi, dans la tombe, avec mes parents, que de me savoir vivant, mais devenu l’opprobre de mon ordre et traître au nom de mes ancêtres. Hélas ! pourquoi suis-je un Colonna ? Pourquoi la fortune m’a-t-elle placé dans la noblesse, quand la nature et les circonstances m’attachent au parti du peuple ! L’amour et la vengeance me sont également interdits, car toute ma vengeance retomberait sur toi comme sur moi. Ô mon adorée ! Nous sommes peut-être séparés pour toujours ; mais, par tout le bonheur que j’ai connu à tes côtés, par toutes les délices que j’ai rêvées, par cette heure ineffable qui la première te livra à mon regard avide, quand j’espérais dans