Page:Mélanges d’indianisme.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
A.-F. HEROLD

de conduire au bûcher la victime. Mais le Grand Bramine est inflexible :

Vous êtes le dernier de nos initiés ;
C’est à vous au bûcher de guider la victime
La loi veut, il suffit ; courbez-vous devant elle ;
Soyez humble du moins, si vous n’êtes fidèle.

Le jeune Bramine sort. Entre un officier du Gouverneur. Il apporte l’ordre du Gouverneur :

Il pense et vous prévient qu’il faut que l’on diffère
L’appareil du bûcher, pour ne pas se distraire
Du soin plus important de défendre nos murs
D’ailleurs, vous le voyez, ce temple, voire asile,
S’élève entre le camp et les murs de la ville ;
Du bûcher allumé les feux étincelants
Brilleraient de trop près aux yeux des assiégeants :
Le gouverneur craindrait une cérémonie
Qui de l’Européen révolte le génie.

Le Grand Bramine congédie l’officier. Il ne partage point l’avis du Gouverneur :

Attendre, différer ce qu’il faut maintenir !

De tels sacrifices ne peuvent qu’attirer sur les guerriers indiens la faveur des dieux.

Cet usage établi par la nécessité,
Par la religion fut encore adopté,
Et la loi des bûchers une fois rejetée,
Où s’arrêterait-on ? Une coutume ôtée,
L’autre tombe ; nos droits les plus saints, les plus chers.
Nos honneurs sont détruits, nos temples sont déserts
Si ces étranges mœurs n’étaient dans nos climats,
Quel respect aurait-on pour le Bramine austère ?
Des maux qu’il s’imposa la rigueur volontaire
Serait traitée alors de démence et d’erreur ;
Mais quand d’autres mortels, imitant sa rigueur,
Portent l’enthousiasme à des efforts suprêmes,
Et savent comme nous se renoncer eux-mêmes,
Alors le peuple admire, il adore, il frémit ;
L’ordre naît, l’encens fume, et l’autel s’affermit.

Il semble que le Grand Bramine tienne au maintien de « la loi des bûchers » plus par raison d’État que par conviction religieuse.