Page:Mémoires de l’Académie des sciences, Tome 1.djvu/175

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de m. tenon.

par les mêmes raisons ; comme il avait calculé l’action de tout, tout lui paraissait pouvoir devenir remède ou poison, selon les circonstances, et son propre régime l’emportait encore en rigueur et en singularité sur celui qu’il prescrivait à ses malades ; il ne prenait, ni ne faisait rien sans un motif déterminé, et il voyait de l’inconvénient ou de l’avantage à une multitude de choses que le commun des hommes croit indifférentes.

Ses travaux sur les hôpitaux le confirmèrent dans cette habitude de tout mesurer, de tout peser, de tout apprécier avec rigueur. Il savait, par pouces et par lignes, ce qu’il faut d’air à un homme pour respirer ; ce qu’il lui faut d’espace pour être couché, pour être enterré ; il avait parcouru, la toise à la main, les hôpitaux d’Amsterdam, de Londres, de Plymouth, et nous ne l’avons jamais vu assister aux obsèques d’un de nos confrères, qu’il n’ait mesuré la fosse, pour juger si elle était conforme aux réglemens.

Un tel homme semblait né, comme on voit, pour l’académie des sciences, et si l’on avait pu lui reprocher quelque chose, c’aurait été tout au plus de porter le genre d’esprit qu’elle demande au-delà du nécessaire ; néanmoins il fut presque obligé d’en forcer l’entrée.

Il s’agissait de la place du célèbre chirurgien Jean-Louis Petit, qui vaquait depuis plus de huit ans. Sauveur-François Morand, directeur de l’académie, la désirait pour son fils, et retarda, sous mille prétextes, le moment où un concurrent dangereux serait admis à présenter ses travaux. Un jour cependant, au mois de mai 1759, il fut pris de la goutte ; M. Tenon, averti à la hâte par le secrétaire Fouchi, profita du moment, et lut un premier Mémoire. L’académie, une fois frappée de son nom et de l’esprit dont ce travail portait l’empreinte, il n’y eut plus moyen de l’écarter. Un second Mémoire lui valut tous les suffrages, et le crédit de Morand se réduisit à faire demander pour son fils, qui d’ailleurs n’était pas sans mérite, une place de surnuméraire.