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INDEMNITÉ DES ÉMIGRÉS

de réduction sur les rentes. Cependant ce cachet de spoliation lui avait été précédemment imprimé et les intérêts révolutionnaires s’en trouvant lésés eurent bien soin qu’elle ne pût s’en laver.

Il aurait été possible de lui donner un caractère politique et national, mais ce n’était pas l’intention du parti qui la proposait. Il la voulait réactionnaire et privilégiée et repoussait, à grands cris, l’idée d’assimiler les pertes causées par la loi du maximum et par la suppression des dotations militaires de l’Empire à celles subies par les émigrés.

La discussion de cette loi d’indemnité mit le comble au dégoût. Les gazettes de l’opposition donnèrent la liste nominale des émigrés, ou fils d’émigrés, siégeant à la Chambre des députés. Le chiffre se trouva en rapport exact avec celui qui votait d’acclamation tous les articles, ou amendements, portant avantage pour eux.

Chaque séance était employée à soutirer quelques liards de plus, en évitant toutefois de laisser insérer aucune expression qui indiquât un compte final. On voulait, au contraire, laisser la porte ouverte à de nouvelles réclamations. Les acquéreurs de biens nationaux, couverts d’insultes par les orateurs de la majorité, étaient bien et dûment avertis que les émigrés ne se tiendraient pas pour satisfaits et comptaient encore sur de nouvelles chances en leur faveur. De sorte que ce milliard, destiné à combler le gouffre des révolutions, selon l’expression du gouvernement, ne fit que le creuser plus profondément.

Les haines personnelles et de parti s’envenimèrent ; les acquéreurs ne furent point rassurés. Les terres n’en prirent pas une plus grande valeur. Malgré la défense de proclamer leur origine, les ventes ne cessèrent pas d’afficher les biens comme patrimoniaux toutes les fois qu’ils ne venaient pas de confiscations.