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RETRAITE DU MINISTÈRE RICHELIEU

d’indignation que de respect. Il rassembla ses collègues et, après une longue conférence, ils conclurent que, s’il était facile de résister à la coalition improvisée des deux oppositions et à sa majorité factice, il était impossible, en revanche, de gouverner utilement avec l’hostilité de Monsieur. Rien n’aurait été plus aisé que de le rendre odieux au pays en démasquant ses intrigues, ses intentions et de le reléguer à n’être qu’un chef de faction ; mais le cabinet était composé de gens trop consciencieux et trop royalistes pour vouloir achever de dépopulariser un prince, héritier de la couronne, que la santé du Roi plaçait sur l’estrade même du trône.

En conséquence, les ministres décidèrent de se retirer en masse et le duc de Richelieu fut chargé d’en prévenir le Roi. Celui-ci, arrivé au dénouement, fut fort troublé : « Mon Dieu, dit-il, en mettant sa tête entre ses mains, que vais-je devenir ? Que veulent-ils faire ? Que va-t-on m’imposer ? »

Monsieur de Richelieu l’engagea à voir Monsieur et à se concerter avec lui. Peu d’heures après, il reçut un billet du Roi qui le mandait en toute hâte. Il le trouva seul dans son cabinet, le visage radieux : « Venez vite, mon cher Richelieu, votre conseil était excellent. J’ai vu mon frère ; j’en suis parfaitement content : il est très sage, tout est arrangé ; vous pouvez vous en aller quand vous voudrez. »

Voilà quelles furent les expressions de la reconnaissance royale pour tous les services et tout le dévouement du duc de Richelieu. Je l’ai vu lui-même sourire en les répétant, mais ce sourire avait quelque chose de triste qui marquait un cœur profondément ulcéré.

Monsieur de Richelieu avait, aux yeux de toute la famille royale, un tort indélébile que rien ne pouvait effacer. Pendant l’émigration et au moment où la fonda-