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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

son amour, de l’importance de sa situation, du ministère et du titre de duchesse. Le chagrin de quitter l’hôtel des affaires étrangères et ses beaux salons fut compensé, peu après, par la nomination à la place de gouverneur de monsieur le duc de Bordeaux et l’espoir d’habiter les Tuileries.

Cependant la santé de Mathieu s’altérait de plus en plus. Il avait eu des crises fort douloureuses que sa patiente douceur dissimulait. Il était mieux ; on l’espérait guéri lorsque, le vendredi saint de l’année 1826, n’étant pas assez rétabli pour assister aux offices, il sortit de chez lui pour aller, avec sa femme et sa fille, à l’église de Saint-Thomas-d’Aquin à l’adoration de la Croix. Il se prosterna appuyé sur une chaise ; sa prière se prolongeant outre mesure, madame de La Rochefoucauld l’engagea à ne pas rester plus longtemps à genoux. Il ne répliqua pas : elle attendit encore, puis répéta ses paroles, puis s’effraya, puis chercha à le soulever ; il était mort.

On le transporta dans la sacristie. Les secours lui furent vainement prodigués ; il ne respirait plus. Une maladie de cœur venait de terminer sa vie au pied de cette Croix qu’il avait si vivement et, je crois, si sincèrement invoquée depuis trente ans.

On a fait de lui une gravure très ressemblante qui rappelle, d’une manière frappante, les traits que les peintres espagnols, et surtout Murillo, ont donné à Jésus-Christ. Selon moi, l’expression de la figure de Mathieu avait perdu quelque chose de sa beauté depuis que l’ambition tenait autant de place dans sa vie.

Je me le rappelle en 1810 dans la chapelle de Saint-Bruno, au désert de la Grande-Chartreuse, comme une vision aussi poétique qu’édifiante. Il était absorbé dans la prière, sa belle figure se trouvant éclairée par un