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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

église et sur l’archevêché. On avait vu la Seine entraînant les meubles, les livres, les manuscrits précieux sous ses ponts, tandis que le cortège du bœuf gras (car c’était un mardi gras de funeste mémoire) les traversait et que des processions de misérables bandits, affublés de chasubles, d’étoles, de surplis, d’ornements pontificaux, la croix, la crosse, les bannières religieuses en tête, inondaient ses quais en se mêlant aux masques. Je conserve de ce hideux spectacle un bien pénible souvenir.

Comme il arrive d’ordinaire dans les effervescences politiques, on n’avait pas pillé, et on se croyait héroïquement généreux pour n’avoir fait que détruire.

Tout ce qui paraît utile aux masses populaires, le linge, les litages, l’argenterie trouvés à l’archevêché, avaient été portés à l’Hôtel-Dieu, et les gazettes du parti révolutionnaire vantèrent le lendemain la magnanimité de ce peuple qu’elles cherchaient à pousser dans tous les excès.

L’archevêque aurait bien pu courir quelques risques à ce premier moment, mais heureusement on avait réussi à le faire évader et pas une goutte de sang, du moins, n’était à regretter dans cette œuvre de destruction conduite avec une fabuleuse célérité.

L’église de Saint-Germain avait été dévastée très rapidement, mais, là, on s’était borné à dépouiller les autels, à enfoncer les armoires, à briser les fenêtres, les lambris, les vitraux, les boiseries sculptées, enfin tout ce qui offrait une sorte de fragilité ; tandis qu’en moins de trois heures il ne restait pas pierre sur pierre de l’archevêché et que la grille même qui entourait le jardin avait disparu. Un tremblement de terre n’aurait pas agi d’une façon plus prompte et plus efficace.

J’ai presque répugnance à ajouter que la cathédrale