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MÉMOIRES DE MADAME DE BOIGNE

Grève, l’autre à la porte Saint-Denis. Tout était tranquille. Sans doute nous étions très préoccupés, mais personne, je crois, ne s’attendait à la journée du lendemain.


(28 Juillet.)

Le mercredi, en entrant chez moi, on me dit qu’aucun de mes ouvriers n’avait paru ; il en était de même chez tous les voisins. Ne croyant pourtant pas la situation assez grave pour changer mes projets et devant retourner à la campagne le lendemain, je voulus aller chez mes banquiers, messieurs Mallet, où j’avais affaire.

Je me décidai à sortir tout de suite, pensant bien que, s’il devait y avoir du bruit, ce serait plus tard. Je fis mettre mes chevaux et, sur les dix heures, je montai en voiture. J’allais dans la rue du Mont-Blanc. J’avertis mon cocher de passer par les rues, au lieu de prendre les boulevards, et de tourner bride s’il voyait des rassemblements. Je ne laissai pourtant pas d’être fort effrayée.

Depuis le milieu de la rue des Mathurins, et dans toutes les rues transversales, les lanternes étaient coupées et gisaient fracassées sur le pavé. À chaque porte, il y avait un groupe de femmes et d’enfants portant la terreur sur leur visage. Les insignes royaux qui décoraient la boutique de Despilly, le marchand de papier, avaient été arrachés et jetés par terre.

Le portier de messieurs Mallet fit quelques difficultés pour ouvrir la porte cochère ; enfin il s’y décida ; ma voiture entra et il la ferma avec une précipitation qui ne calma pas mon inquiétude. Je montai au bureau où ces messieurs furent fort étonnés de me voir ; ils