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mémoires du maréchal joffre

Le plan XVI tenait peu de compte de la probabilité de la violation de la Belgique. Comme je l'ai déjà dit, notre gauche ne dépassait guère la région de Vouziers ; elle était d'ailleurs faible et les réserves ne permettaient de la renforcer et de la prolonger que dans des conditions insuffisantes.

Mais ce n'était pas à la seule critique qu'on pût adresser au plan XVI.

En effet, face aux soixante-cinq divisions allemandes, que nous nous attendions à voir paraître sur le front du nord-est, le plan XVI ne prévoyait que la concentration de trente-huit divisions françaises actives et de quatre divisions de réserve dans les places ; les douze divisions de réserve maintenues loin vers Dijon, Troyes, Soissons et Laon n'étaient destinées, nous avons vu pour quels motifs, qu'à des missions secondaires.

Il en résultait à notre détriment une infériorité numérique importante, qui, combinée avec le sentiment que nous avions d'une mobilisation et d'une concentration allemandes plus promptes que les nôtres, expliquait les intentions stratégiques auxquelles répondait cette concentration. C'était la théorie dite de la "défensive-offensive" en honneur en France depuis une vingtaine d'années. Elle faisait état des opérations russes en Pologne et britanniques sur mer, en ce sens qu'elle prétendait lasser l'offensive allemande par un combat défensif appuyé sur notre barrière fortifiée, assez longtemps pour permettre aux Russes, dont la mobilisation était fort lente, de faire sentir leur action offensive et d'obliger les Allemands à dégarnir notre front avant d'y avoir obtenu une décision. A ce moment, pensait-on, les Russes d'un côté, les Français renforcés des Anglais de l'autre, entamaient simultanément une offensive générale et décisive. Dans ce scénario, l'armée française avait à jouer tout d'abord le rôle d'armée de couverture de la Triple-Entente.

Cette conception me semblait reposer une sophisme ; à savoir que durant le premier moi de la guerre aucune décision ne serait obtenue contre nous, malgré notre