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l'évolution des doctrines

a parlé d'une "mystique de l'offensive". Sans doute le mot est excessif ; il marque cependant assez bien le caractère un peu irraisonné que prit, dans les années qui suivirent 1905, le culte de l'offensive. Il devait appartenir au lieutenant-colonel de Grandmaison, le chef du bureau des opérations de l'état-major de l'armée, de soutenir en 1911, dans deux célèbres conférences dont j'ai déjà parlé, cette théorie outrancière avec un éclat qui la rendit à son tour dangereuse !

Seul, un petit noyau militaire, travailleur, instruit, audacieux, ayant le culte de l'énergie et de la maîtrise du caractère, n'ayant point connu les infortunes de 1870, non obsédé par l'idée de la supériorité allemande, était touché par des idées nouvelles. En 911 la nouvelle doctrine n'avait point encore pénétré très avant dans la masse de l'armée ; mais celle-ci commençait à s'émouvoir. Ballottée depuis de longues années entre les théories les plus extrêmes, encadrée par des officiers rebelles à toutes les innovations, elle conservait néanmoins une apathie et une indolence absolues. Sans doute on savait que l'offensive était à la mode en haut lieu, et on s'efforçait de faire "de l'offensive", mais dans quelles conditions !

Les manœuvres de 1911 le firent bien voir. L'infanterie peu manœuvrière révélait les lacunes de son instruction, les fronts d'attaque étaient disproportionnés avec les moyens mis en oeuvre, le terrain était mal utilisé ; l'artillerie et l'infanterie ne cherchaient point à lier leurs efforts ; les notions les plus élémentaires de couverture étaient méconnues ; les différentes armes ignoraient profondément les besoins et les possibilités les unes des autres ; le haut commandement manquait d'unité de vues : à chaque instant on voyait éclore des "instructions" particulières qui commentaient, selon le tempérament du chef qui les rédigeait, les règlements de manœuvre.

En définitive, la masse de l'armée, longtemps maintenue dans un moule défensif, n'avait ni doctrine ni instruction. Incertaine de la voie à suivre, elle ne formait point un outil capable d'appliquer la rude doctrine de l'offensive ;