Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/24

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pagne fidèle ; elle me suit comme une ombre ; elle court et glisse à mon côté. » Sur ses épaules, il portait une couverture enroulée et, à la première étape, il la jetait à terre, se couchait dessus, dédaigneux des abris qu’offrent les chambres d’hôtel. Un coin quand il pleuvait, le ciel fourmillant d’étoiles quand il faisait beau. Un vagabond, vous ai-je dit.

Longtemps, il habita une péniche en compagnie d’un marinier qui la pilotait. Il avait mis là quelques livres et doucement, lentement, il remontait les canaux et les fleuves, s’arrêtant au petit bonheur, capricieusement. La route, la route, il ne connaissait que ça. Et, à force de voir, sous toutes les latitudes, les hommes semblables à eux-mêmes, il atteignit à un mépris souverain et souriant.

Un jour, pourtant, il s’immobilisa dans la poussière du chemin. Il y avait un grand bruit vers l’Orient, du côté de Moscou. Tout un peuple, disait-on, s’était levé pour balayer ses maîtres. Le drapeau rouge flottait sur les ruines du capitalisme vaincu. Parmi d’atroces souffrances, d’indicibles détresses, une œuvre formidable s’élaborait. Un monde nouveau s’éveillait.

Alors l’En-Dehors, l’Évadé des cages sociales se prit à rêver. Qu’allait-il sortir de ces tumultes et de ces désastres ? La société qui s’efforçait de surgir serait-elle hospitalière à l’Homme ? Et comment, lui, le réfractaire obstiné, buveur et mâcheur d’au-delà, l’« Intensif », n’aurait-il pas senti immensément, « intensivement », toute la beauté tragique de cette agonie et de cet enfantement ?

« Le communisme, prophétisait Herzen, orageux, terrible, sanglant, injuste, passera à toute vapeur. Au milieu des foudres et des éclairs, la lueur des palais embrasés, sur les ruines des fabriques et des magistratures, comme