Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quit, descendait jusqu’au Quartier Latin. Il savait me dénicher, au fond de la salle empuantie de la Chope de la Harpe. Là se réunissaient des hommes venus un peu de tous les coins qui, en absorbant des demis, discutaillaient avec véhémence.

Jusqu’à deux heures tapant, les demis de bière s’accumulaient, les soucoupes s’entassaient, constructions fragiles, hâtives et instables, telle la société future sortie de nos cerveaux ainsi que la déesse de la tête de Jupiter.

Mais il faudrait un chapitre spécial pour ressusciter ces soirées mouvementées[1].

La Chope de la Harpe close, Couté, Depaquit et quelques autres traversaient les ponts. Les Halles, avec leurs boîtes de nuit, nous faisaient signe impérativement. Nous allions « finir » au Baratte » (aujourd’hui disparu) ou au Grand Comptoir, parmi une aimable société de souteneurs malchanceux, de filles sans clientèle et de noceurs de bas étage. Nous étions, d’ailleurs, très considérés dans ces boîtes, parce que journalistes et « artistes ».

Et puis, Jules Depaquit, vers les quatre heures du matin, exécutait sa fameuse « danse du parapluie » au milieu des applaudissements enthousiastes. Cela se terminait généralement à sept heures du matin et, dans le petit jour blême d’hiver, les gentilshommes de lettres, légèrement titubants, s’orientaient tant bien que mal parmi les entassements fantastiquement multicolores des carottes sanguinolentes, des pommes de terre grisâtres comme un programme de candidat au Conseil d’arrondissement, des navets blêmes et des choux glorieux que Rimbaud a oubliés dans son sonnet des voyelles.


Paix des pâtis semés d’animaux. Paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux.

  1. Voir le chapitre : La petite Bohème, 1re série.