Page:Méric - À travers la jungle politique et littéraire, 2e série, 1931.djvu/66

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Brandler, un géant bossu, à tête carrée, suant l’audace et l’entêtement, une sorte de Titan foudroyé, comme dit Hugo de Quasimodo. C’était un ancien ouvrier syndicaliste qui avait participé plus d’un mouvement de grève, — l’allure d’un chef. Mais quel visage rébarbatif et fermé ! On sentait, en le voyant, qu’il n’était pas de ceux qui se dégonflent. Il devait, par la suite, pourtant, se dégonfler devant la justice.

Stocker. Un petit homme mince, blond, falot, les yeux toujours en mouvement, le corps raide. Détail particulier : il ne cessait de grignoter. Au cours de nos réunions et de nos conciliabules, il répétait toujours le même geste qui consistait à tirer des miettes de pain de sa poche pour les fourrer dans sa bouche. Il me faisait songer à un rat, — ou à un furet. Celui-là devait rêver de ronger la société bourgeoise lentement, morceau par morceau. Presque muet. Je ne l’ai pas entendu prononcer deux paroles.

Thaleymer, le rédacteur en chef de la Rothe Fane, organe des communistes, visage clair et sympathique, orné d’une petite moustache noire. Silencieux lui aussi, et méditatif. Et, ici, je note un détail curieux.

Nous nous retrouvions deux ou trois fois dans la journée, dans les quartiers les plus divers, au fond d’une salle de taverne, quelquefois dans une cave. Il fallait dépister la, police. On empruntait des chemins bizarres, on contournait des maisons, sans doute pour brouiller les pistes. Cela vous avait un petit air rocambolesque tout à fait réjouissant. Néanmoins, je me rasais copieusement.

Je me rasais, parce que, de tous ces bons camarades, aucun ne connaissait la langue française. J’étais obligé de recourir aux offices de R… quand j’avais une observation à formuler. Et puis, l’on ne dînait pas souvent. Ces bougres-là passaient des heures et des heures sans se