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théâtre de quartier. Mais ce n’était pas le dictateur hongrois. Rien de Bela Kun. Simplement un camarade très important dont le nom finissait en « sky » !

Mais voici où je veux en venir. Tous ces gens-là donc ne parlaient pas le français, ne disaient pas un mot de français, me laissaient morfondre dans mon ennui morne et ma solitude. Ça manquait de charme et d’imprévu. Eh bien ! un an après, lors d’une réunion du Comité directeur du parti, à Paris, j’eus la surprise de rencontrer Thaleymer que les « frères allemands » venaient de déléguer chez nous, je ne sais plus à quelle occasion. Toujours le même, Thaleymer, raide et muet. Vers les onze heures, alors qu’il n’avait pas plus bougé qu’une cariatide, on lui donna la parole. Il discourut trois quarts d’heure, en allemand, parmi les bâillements discrets et les mouvements d’impatience de Daniel Renoult.

Rien d’extraordinaire encore ? Attendez. Le lendemain dans la soirée, je me trouvais à « l’Oriental », café célèbre du Lion de Belfort, devant un demi de blonde. Tout à coup, j’entends une voix :

— Bonsoir, camarade !

Surprise. C’était Thaleymer. Il prit une chaise et nous commençâmes à bavarder.

Il maniait la langue française comme s’il était né aux bords de la Seine. Pas une hésitation. Toujours le mot propre. Et la discussion, cependant, était ardue. À cette époque, je commençais à sentir le roussi dans le parti communiste et je me préparais à tirer mon chapeau. Thaleymer s’efforçait de ramener la brebis égarée. Je ripostais. À un moment, il me dit avec un sourire :

— Vous abusez de la connaissance que vous avez de votre langue. Je suis en état d’infériorité.

Du coup, je bondis :

— Comment !… Mais vous n’ignorez rien des finesses