Page:Méric - À travers la jungle politique littéraire, 1930.djvu/83

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Chope de la Harpe qui eut une manière de célébrité durant plusieurs années. Mais quand il ouvrait son réservoir à anecdotes, on se taisait autour de lui. Il parlait comme il buvait, tout naturellement, et plus il buvait, mieux il parlait. Il disait les vers d’une voix profonde, appuyée et nuancée. Il faisait surgir, à nos yeux, des personnages ignorés, mais qui, par la magie des mots, nous semblaient — si près de nous — de vieux camarades. Tenez, il faut que je vous dise un mot du bon poète Poussin, tel que le dressait le père Jacquemin devant nos yeux émerveillés. Poussin ! Ça ne vous dit rien ? Il est certain, très certain, que je ne l’ai jamais connu, jamais vu ; mais j’ai vécu, tout de même, avec lui, à sa table, dans son ombre ; je l’ai entendu, je l’ai touché, je lui ai serré la main, le soir, son dernier verre achevé, alors qu’il se levait péniblement sur ses jambes molles. Et je l’ai vu mourir, d’une mort cruelle et ignominieuse. Mais écoutez son histoire.

Poussin débarqua un jour dans la capitale, « riche de ses yeux tranquilles », avec un manuscrit sous le bras — ses poèmes. Timidement, il se mit à fréquenter les cabarets assez nombreux et les tavernes, où tonitruaient des bardes audacieux. Il se mêla ainsi au groupe Ponchon-Richepin. Mais l’on s’amusait de lui. Il cachait, dans ses papiers, un long poème de forme naïvement romantique : La mort de la Jument. Et certains soirs, on lui criait :

— Allons ! Poussin ! Vas-y ! Récite-nous ta « jument ».