Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/119

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voyager avec une femme, attendu que je ne pourrais pas fumer le long de la route. La malle-poste arrivée, je trouvai dedans une femme grande et jolie, simplement et coquettement mise, qui s’annonça comme malade en voiture et désespérant d’arriver vivante à Paris. Notre tête-à-tête commença. Je fus aussi poli et aimable qu’il m’est possible de l’être quand je suis obligé de rester dans la même position. Ma compagne parlait bien, sans accent marseillais, était très-bonapartiste, très-enthousiaste, croyait à l’immortalité de l’âme, pas trop au catéchisme, et voyait en général les choses en beau. Je sentais qu’elle avait une certaine peur de moi. À Saint-Étienne, le briska à deux places fut échangé pour une voiture à quatre places. Nous eûmes les quatre places à nous deux, et par conséquent vingt-quatre heures de tête-à-tête à ajouter aux trente premières. Mais, bien que nous causassions (quel joli mot !) beaucoup, il me fut impossible de me faire une idée de ma voisine, si ce n’est qu’elle devait être mariée et une personne de bonne compagnie. Pour finir, à Moulins, nous prîmes deux compagnons assez maussades, et nous arrivâmes à Paris, où ma