Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/120

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femme mystérieuse se précipita dans les bras d’un homme très-laid qui devait être son père. Je lui ôtai ma casquette, et j’allais monter dans un fiacre quand mon inconnue, d’une voix émue, me dit, ayant laissé le père à quelques pas : « Monsieur, je suis pénétrée des égards que vous avez eus pour moi. Je ne puis vous en exprimer assez toute ma reconnaissance. Jamais je n’oublierai le bonheur que j’ai eu de voyager avec un homme aussi illustre. » Je cite le texte. Mais ce mot illustre m’expliqua les conseillers municipaux et la peur de la dame. Il était évident qu’on avait vu mon nom sur le livre de la poste, et que la dame, qui avait lu mes œuvres, s’attendait à être avalée toute crue, et que cette opinion fort erronée doit être partagée par plus d’une autre de mes lectrices. Comment avez-vous eu l’idée de me connaître ? Cela m’a mis de mauvaise humeur pendant deux jours, puis j’en ai pris mon parti. Ce qu’il y a de singulier dans ma vie, c’est qu’étant devenu un très-grand vaurien, j’ai vécu deux ans sur mon ancienne bonne réputation, et qu’après être redevenu très-moral, je passe encore pour vaurien.