Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/124

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muletiers et des paysannes d’Andalousie. Écrivez cela dans mon oraison funèbre et vous aurez dit la vérité.

Si je vous parle de mon oraison funèbre, c’est que je crois qu’il est temps de vous y préparer. Je suis très-souffrant depuis longtemps, et surtout depuis quinze jours. J’ai des éblouissements, des spasmes, des migraines horribles. Il doit y avoir quelque grand accident à ma cervelle, et je pense que je puis devenir bientôt, comme dit Homère, convive de la ténébreuse Proserpine. Je voudrais savoir ce que vous direz alors. Je serais charmé que vous en fussiez triste pour quinze jours. Trouvez-vous ma prétention exagérée ? Je passe une partie de mes nuits à écrire, ou à déchirer ce que j’ai écrit la veille ; de la sorte j’avance peu. Ce que je fais m’amuse ; mais cela amusera-t-il les autres ? Je trouve que les anciens étaient bien plus amusants que nous ; ils n’avaient pas de buts si mesquins ; ils ne se préoccupaient pas d’un tas de niaiseries comme nous. Je trouve que mon héros Jules-César fit, à cinquante-trois ans, des bêtises pour Cléopâtre et oublia tout pour elle, ce pourquoi peu s’en fallut qu’il ne se noyât