Page:Mérimée, Lettres à une inconnue 1,1874.djvu/384

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emmené entre les autorités à l’hôtel de ville, où l’on m’a donné un banquet, qui n’a duré que deux heures et où il y avait de très-bons poissons et des homards délicieux. Je croyais en être quitte, lorsque le président des antiquaires s’est levé et tout le monde avec lui. Il a pris la parole, et a dit qu’il proposait de boire à ma santé, attendu que j’étais remarquable à trois points de vue, c’est à savoir : comme sénateur, comme homme de lettres et comme savant. Il n’y avait que la table entre nous et j’avais une grande envie de lui jeter à la tête un plat de gelée au rhum. Pendant qu’il parlait, je méditais ma réponse sans qu’il me fût possible de trouver un mot. Lorsqu’il s’est tu, j’ai compris qu’il fallait absolument parler et j’ai commencé une phrase sans savoir comment je la continuerais. J’ai parlé de la sorte pendant cinq ou six minutes avec beaucoup d’aplomb, sans trop me rendre compte de ce que je disais. On m’a assuré que j’avais été très-éloquent ; mais je n’en étais pas quitte. Le maire m’a empoigné et mené à un concert que les dames et les messieurs de la Société philharmonique donnaient au bénéfice des pauvres. J’ai été exposé sur un fauteuil à un très--