Page:Mérimée - Carmen.djvu/105

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peur et me demandât grâce, mais, cette femme était un démon.

— Pour la dernière fois, m’écriai-je, veux-tu rester avec moi ?

— Non ! non ! non ! dit-elle en frappant du pied, et elle tira de son doigt une bague que je lui avais donnée, et la jeta dans les broussailles.

Je la frappais deux fois. C’était le couteau du Borgne que j’avais pris, ayant cassé le mien. Elle tomba au second coup sans crier. Je crois encore voir son grand œil noir me regarder fixement ; puis il devint trouble et se ferma. Je restai anéanti une bonne heure devant ce cadavre. Puis, je me rappelai que Carmen m’avait dit souvent qu’elle aimerait à être enterrée dans un bois. Je lui creusai une fosse avec mon couteau, et je l’y déposai. Je cherchai longtemps sa bague, et je la trouvai à la fin. Je la mis dans la fosse auprès d’elle, avec une petite croix. Peut-être ai-je eu tort. Ensuite je montai sur mon cheval, je galopai jusqu’à Cordoue, et au premier corps-de-garde je me fis connaître. J’ai dit que j’avais tué Carmen ; mais je n’ai pas voulu dire où était son corps. L’ermite était un saint homme. Il a prié pour elle ! Il a dit une messe pour son âme… Pauvre enfant ! Ce sont les Calé qui sont coupables pour l’avoir élevée ainsi.