Page:Mérimée - Carmen.djvu/123

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mais la dame au cierge marchait fort vite, et madame de Piennes l’eut bientôt perdue de vue, quoiqu’elle suivît la même direction. Au coin de la rue qu’elle habitait, elle la rencontra de nouveau. Sous son cachemire de hasard, l’inconnue cherchait à cacher un pain de quatre livres acheté dans une boutique voisine. En revoyant madame de Piennes, elle baissa la tête, ne put s’empêcher de sourire et doubla le pas. Son sourire disait : « Que voulez-vous ? je suis pauvre. Moquez-vous de moi. Je sais bien qu’on n’achète pas du pain en capote rose et en cachemire. » Ce mélange de mauvaise honte, de résignation et de bonne humeur n’échappa point à madame de Piennes. Elle pensa non sans tristesse à la position probable de cette jeune fille. « Sa piété, se dit-elle, est plus méritoire que la mienne. Assurément son offrande d’un écu est un sacrifice beaucoup plus grand que le superflu dont je fais part aux pauvres, sans m’imposer la moindre privation. » Puis elle se rappela les deux oboles de la veuve, plus agréables à Dieu que les fastueuses aumônes des riches. « Je ne fais pas assez de bien, pensa-t-elle. Je ne fais pas tout ce que je pourrais faire. » Tout en s’adressant ainsi mentalement des reproches qu’elle était loin de mériter, elle rentra chez elle. Le cierge, le pain de