Page:Mérimée - Carmen.djvu/168

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carnat, et sa voix expira sur ses lèvres ; mais elle reprit bientôt sa sérénité. — Vous vous méprenez, ma pauvre enfant, dit-elle d’un ton grave. M. de Salligny a compris qu’il avait tort de vous rappeler des souvenirs qui sont heureusement loin de votre mémoire. Vous avez oublié…

— Oublié ! s’écria Arsène avec un sourire de damné qui faisait mal à voir.

— Oui, Arsène, vous avez renoncé à toutes les folles idées d’un temps qui ne reviendra plus. Pensez, ma pauvre enfant, que c’est à cette coupable liaison que vous devez tous vos malheurs. Pensez…

— Il ne vous aime pas ! interrompit Arsène sans l’écouter, il ne vous aime pas, et il comprend un seul regard ! J’ai vu vos yeux et les siens. Je ne me trompe pas… Au fait… c’est juste ! Vous êtes belle, jeune, brillante… moi, estropiée, défigurée… près de mourir…

Elle ne put achever : des sanglots étouffèrent sa voix, si forts, si douloureux, que la garde s’écria qu’elle allait chercher le médecin ; car, disait-elle, M. le docteur ne craignait rien tant que ces convulsions, et si cela dure la pauvre petite va passer.

Peu à peu l’espèce d’énergie qu’Arsène avait trouvée dans la vivacité même de sa douleur fit place à un abat-