Page:Mérimée - Carmen.djvu/294

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ZEMFIRA.

Ami, dis-moi, ne regrettes-tu pas ce que tu as quitté pour toujours ?

ALEKO.

Qu’ai-je donc quitté ?

ZEMFIRA.

Tu sais… une famille, les villes…

ALEKO.

Moi des regrets ! Si tu savais, si tu pouvais t’imaginer l’esclavage de ces villes où l’on étouffe ! Là, les hommes parqués, entassés, n’ont jamais respiré l’air frais du matin, ni les parfums printanniers des prairies. Ils ont honte d’aimer. La pensée… ils la chassent loin d’eux. Ils font marchandise de leur liberté. Rampants aux pieds des idoles, ils leur demandent de l’argent et des chaînes. Qu’ai-je quitté ? Trahisons impudentes, préjugés sans appel, haines insensées de la foule, ou bien le déshonneur au pinacle et resplendissant.

ZEMFIRA.

Mais, là on voit de grands palais, des tapis aux mille couleurs, des jeux, des fêtes bruyantes… et les habits des femmes, comme ils sont riches !

ALEKO.

La joie des villes, vain bruit ; là point d’amour, point