Page:Mérimée - Carmen.djvu/338

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qu’hésiter entre les deux opinions, et, pour conclure le marché, il faut de toute nécessité être un coquin.

Au reste, à part ce défaut de la donnée générale, les détails de mœurs et les portraits sont tracés de main de maître. C’est une espèce de tour de force que d’avoir tiré tant de scènes si différentes et si plaisamment nuancées d’une situation qui demeure toujours la même. Pour que le lecteur puisse apprécier la manière de M. Gogol, je prends au hasard un chapitre des Âmes mortes et j’en traduis quelques pages.

Tchitchikof, surpris la nuit par un orage, égaré par son cocher ivre, est forcé de demander l’hospitalité dans une maison appartenant à une vieille dame veuve nommée Korobotchka, qui fait valoir elle-même et qui ne s’entend pas mal aux affaires. Malgré l’heure avancée, il est bien reçu ; on lui fait un lit haut comme une montagne dans la meilleure pièce de la maison. Madame Korobotchka, en lui souhaitant le bonsoir, lui demande s’il n’est pas dans l’habitude de se faire frotter la plante des pieds par une servante pour s’endormir. — Défunt mon mari, dit-elle, ne pouvait fermer l’œil sans cela.

Je passe la description du lit, de la chambre, du déjeuner qu’on apporte le lendemain matin. M. Gogol a mesuré la glace ; il dit la grandeur et le sujet des es-