Page:Mérimée - Carmen.djvu/359

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« Anna. — Vraiment ! Brambeus, c’est vous ?

« Khlestakof. — Mon Dieu, oui. Je leur corrige leurs vers à tous. Smidrine me donne pour cela 40, 000 roubles.

« Anna. — Eh ! dites-moi, est-ce que c’est de vous, Iourii Miloslavski ?

« Khlestakof. — Oui, c’est de moi.

« Anna. — Je m’en étais bien doutée.

« Maria Antonovna. — Mais, maman, il y a sur le titre que c’est de M. Zagoskine.

« Anna. — Eh ! bien j’en étais sûre. La voilà qui veut encore disputer !

« Khlestakof. — Oui, c’est vrai, c’est de Zagoskine. C’est un autre Iourii Miloslavski qui est de moi.

« Anna. — C’est celui-là que j’ai lu. Comme c’est bien écrit !

« Khlestakof. — Moi, je l’avoue, la littérature c’est mon élément. Ma maison est la première de Saint-Pétersbourg. On se dit : Voilà la maison d’Ivan Alexandrovitch. » Faites-moi la grâce, messieurs, si vous venez à Pétersbourg, je vous en prie, venez chez moi. Je donne aussi des bals.

« Anna. — Je suis sûre que vos bals sont charmants et d’un goût exquis.

« Khlestakof. — Oh ! tout simples ; il ne faut pas en parler. Sur la table, par exemple, un melon d’eau… — un melon d’eau, de six cents roubles. — On m’envoie la soupe dans une casserole, de Paris, par le chemin de fer. On lève le couvercle… une vapeur ! il n’y a rien de semblable au monde. Je vais au bal tous les jours, et puis nous faisons notre whist, le ministre des affaires étrangères, l’ambassadeur de France, l’ambassadeur d’Allemagne et moi, et là, alors, nous nous exterminons… on ne s’en fait pas une idée… on revient éreinté… On grimpe à son quatrième étage, on n’a que la force de dire à sa bonne : Voyons, Mavrouchka, ma robe de chambre… Qu’est-ce que je dis donc ?… j’oubliais que je demeure au premier… J’ai un es-