Page:Mérimée - Carmen.djvu/93

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je veux être seul. D’ailleurs, Garcia était un coquin, et je me rappelle ce qu’il a fait au pauvre Remendado. Nous ne sommes plus que deux, mais nous sommes de bons garçons. Voyons, veux-tu de moi pour ami, à la vie à la mort ? — Le Dancaïre me tendit la main. C’était un homme de cinquante ans. — Au diable les amourettes ! s’écria-t-il. Si tu lui avais demandé Carmen, il te l’aurait vendue pour une piastre. Nous ne sommes plus que deux, comment ferons-nous demain ? — Laisse-moi faire tout seul, lui répondis-je. Maintenant je me moque du monde entier.

Nous enterrâmes Garcia, et nous allâmes placer notre camp deux cents pas plus loin. Le lendemain, Carmen et son Anglais passèrent avec deux muletiers et un domestique. Je dis au Dancaïre : Je me charge de l’Anglais. Fais peur aux autres, ils ne sont pas armés. L’Anglais avait du cœur. Si Carmen ne lui eût poussé le bras, il me tuait. Bref, je reconquis Carmen ce jour-là, et mon premier mot fut de lui dire qu’elle était veuve. Quand elle sut comment cela s’était passé : Tu seras toujours un lillipendi ! me dit-elle. Garcia devait te tuer. Ta garde navarraise n’est qu’une bêtise, et il en a mis à l’ombre de plus habiles que toi. C’est que son temps était venu. Le tien viendra. — Et le tien, répon-