Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/114

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maire, tous les hommes d’ici sont pour nous. Nous pourrions les hacher ! Il serait facile d’entamer l’affaire. Si vous le vouliez, j’irais à la fontaine, je me moquerais de leurs femmes ; ils sortiraient… Peut-être… car ils sont si lâches ! peut-être tireraient-ils sur moi par leurs archere ; ils me manqueraient. Tout est dit alors : ce sont eux qui attaquent. Tant pis pour les vaincus : dans une bagarre où trouver ceux qui ont fait un bon coup ? Croyez-en votre sœur, Orso ; les robes noires qui vont venir saliront du papier, diront bien des mots inutiles. Il n’en résultera rien. Le vieux renard trouverait moyen de leur faire voir des étoiles en plein midi. Ah ! si le préfet ne s’était pas mis devant Vincentello, il y en avait un de moins.

Tout cela était dit avec le même sang-froid qu’elle mettait l’instant d’auparavant à parler des préparatifs du bruccio.

Orso, stupéfait, regardait sa sœur avec une admiration mêlée de crainte.

— Ma douce Colomba, dit-il en se levant de table, tu es, je le crains, le diable en personne ; mais sois tranquille. Si je ne parviens à faire pendre les Barricini, je trouverai moyen d’en venir à bout d’une autre manière. Balle chaude ou fer froid[1] ! Tu vois que je n’ai pas oublié le corse.

— Le plus tôt serait le mieux, dit Colomba en soupirant. Quel cheval monterez-vous demain, Ors’ Anton’ ?

— Le noir. Pourquoi me demandes-tu cela ?

— Pour lui faire donner de l’orge.

Orso s’étant retiré dans sa chambre, Colomba envoya coucher Saveria et les bergers, et demeura seule dans la cuisine où se préparait le bruccio. De temps en temps, elle prêtait l’oreille et paraissait attendre impatiemment que

  1. Palla calda u farru freddu, locution très-usitée.