Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/115

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son frère se fût couché. Lorsqu’elle le crut enfin endormi, elle prit un couteau, s’assura qu’il était tranchant, mit ses petits pieds dans de gros souliers, et, sans faire le moindre bruit, elle entra dans le jardin.

Le jardin, fermé de murs, touchait à un terrain assez vaste, enclos de haies, où l’on mettait les chevaux, car les chevaux corses ne connaissent guère l’écurie. En général on les lâche dans un champ et l’on s’en rapporte à leur intelligence pour trouver à se nourrir et à s’abriter contre le froid et la pluie.

Colomba ouvrit la porte du jardin avec la même précaution, entra dans l’enclos, et en sifflant doucement elle attira près d’elle les chevaux, à qui elle portait souvent du pain et du sel. Dès que le cheval noir fut à sa portée, elle le saisit fortement par la crinière et lui fendît l’oreille avec son couteau. Le cheval fit un bond terrible et s’enfuit en faisant entendre ce cri aigu qu’une vive douleur arrache quelquefois aux animaux de son espèce. Satisfaite alors, Colomba rentrait dans le jardin, lorsque Orso ouvrit sa fenêtre et cria Qui va là ? En même temps elle entendit qu’il armait son fusil. Heureusement pour elle, la porte du jardin était dans une obscurité complète, et un grand figuier la couvrait en partie. Bientôt, aux lueurs intermittentes qu’elle vit briller dans la chambre de son frère, elle conclut qu’il cherchait à rallumer sa lampe. Elle s’empressa alors de fermer la porte du jardin, et, se glissant le long des murs, de façon que son costume noir se confondit avec le feuillage sombre des espaliers, elle parvint à rentrer dans la cuisine quelques moments avant qu’Orso ne parût.

— Qu’y a-t-il ? lui demanda-t-elle.

— Il m’a semblé, dit Orso, qu’on ouvrait la porte du jardin.

— Impossible. Le chien aurait aboyé. Au reste, allons voir.