Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’elle portait le dernier jour qu’il l’avait vue à Ajaccio. Sous les plis de cette robe s’échappait un petit pied dans un soulier de satin noir. Orso se disait qu’il serait bien heureux de baiser ce pied ; mais une des mains de miss Lydia n’était pas gantée, et elle tenait une pâquerette. Orso lui prenait cette pâquerette, et la main de Lydia serrait la sienne ; et il baisait la pâquerette, et puis la main, et on ne se fâchait pas… Et toutes ces pensées l’empêchaient de faire attention à la route qu’il suivait, et cependant il trottait toujours. Il allait pour la seconde fois baiser en imagination la blanche main de miss Nevil, quand il pensa baiser en réalité la tête de son cheval qui s’arrêta tout à coup. C’est que la petite Chilina lui barrait le chemin et lui saisissait la bride.

— Où allez-vous ainsi, Ors’ Anton’ ? disait-elle. Ne savez-vous pas que votre ennemi est près d’ici ?

— Mon ennemi ! s’écria Orso furieux de se voir interrompu dans un moment aussi intéressant. Où est-il ?

— Orlanduccio est près d’ici. Il vous attend. Retournez, retournez.

— Ah ! il m’attend ! Tu l’as vu ?

— Oui, Ors’ Anton’, j’étais couchée dans la fougère quand il a passé. Il regardait de tous les côtés avec sa lunette.

— De quel côté allait-il ?

— Il descendait par là, du côté où vous allez.

— Merci.

— Ors’ Anton’, ne feriez-vous pas bien d’attendre mon oncle ? Il ne peut tarder, et avec lui vous seriez en sûreté.

— N’aie pas peur, Chili, je n’ai pas besoin de ton oncle.

— Si vous vouliez, j’irais devant vous.

— Merci, merci.