Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/174

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lait catalan ; mais j’étais dans le Roussillon depuis assez longtemps pour pouvoir comprendre à peu près ce qu’il disait.

— Te voilà donc, coquine ! (Le terme catalan était plus énergique.) Te voilà ! disait-il. C’est donc toi qui as cassé la jambe à Jean Coll ! Si tu étais à moi, je te casserais le cou.

— Bah ! avec quoi ? dit l’autre. Elle est de cuivre, et si dure qu’Étienne a cassé sa lime dessus, essayant de l’entamer. C’est du cuivre du temps des païens ; c’est plus dur que je ne sais quoi.

— Si j’avais mon ciseau à froid (il paraît que c’était un apprenti serrurier), je lui ferais bientôt sauter ses grands yeux blancs, comme je tirerais une amande de sa coquille. Il y a pour plus de cent sous d’argent.

Ils firent quelques pas en s’éloignant.

— Il faut que je souhaite le bonsoir à l’idole, dit le plus grand des apprentis, s’arrêtant tout à coup.

Il se baissa, et probablement ramassa une pierre. Je le vis déployer le bras, lancer quelque chose, et aussitôt un coup sonore retentit sur le bronze. Au même instant l’apprenti porta la main à sa tête en poussant un cri de douleur.

— Elle me l’a rejetée ! s’écria-t-il.

Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était évident que la pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce drôle de l’outrage qu’il faisait à la déesse.

Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur.

— Encore un Vandale puni par Vénus ! Puissent tous les destructeurs de nos vieux monuments avoir ainsi la tête cassée ! Sur ce souhait charitable, je m’endormis.

Il était grand jour quand je me réveillai. Auprès de mon lit étaient, d’un côté, M. de Peyrehorade, en robe de chambre ; de l’autre, un domestique envoyé par sa femme, une tasse de chocolat à la main.