Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/205

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tourments, et il avait eu la satisfaction d’envoyer au paradis l’âme de son parent sans lui laisser le temps de beaucoup s’ennuyer en purgatoire. — Pourtant, Juanito, ajoutait la comtesse, je souffrirai peut-être un jour comme cela, et je resterai des millions d’années en purgatoire si tu ne pensais pas à faire dire des messes pour m’en tirer ! Comme il serait mal de laisser dans la peine la mère qui t’a nourri ! Alors l’enfant pleurait ; et s’il avait quelques réaux dans sa poche, il s’empressait de les donner au premier quêteur qu’il rencontrait porteur d’une tirelire pour les âmes du purgatoire.

S’il entrait dans le cabinet de son père, il voyait des cuirasses faussées par des balles d’arquebuse, un casque que le comte de Maraña portait à l’assaut d’Alméria, et qui gardait l’empreinte du tranchant d’une hache musulmane ; des lances, des sabres mauresques, des étendards pris sur les infidèles, décoraient cet appartement.

— Ce cimeterre, disait le comte, je l’ai enlevé au cadi de Veger, qui m’en frappa trois fois avant que je lui ôtasse la vie. — Cet étendard était porté par les rebelles de la montagne d’Elvire. Ils venaient de saccager un village chrétien ; j’accourus avec vingt cavaliers. Quatre fois j’essayai de pénétrer au milieu de leur bataillon pour enlever cet étendard ; quatre fois je fus repoussé. À la cinquième, je fis le signe de la croix ; je criai : « Saint Jacques ! » et j’enfonçai les rangs de ces païens. — Et vois-tu ce calice d’or que je porte dans mes armes ? Un alfaqui des Morisques l’avait volé dans une église, où il avait commis mille horreurs. Ses chevaux avaient mangé l’orge sur l’autel, et ses soldats avaient dispersé les ossements des saints. L’alfaqui se servait de ce calice pour boire du sorbet à la neige. Je le surpris dans sa tente comme il portait à ses lèvres le vase sacré. Avant qu’il eût dit : « Allah ! » pendant que le breuvage était encore dans sa gorge, de cette bonne épée, je frappai la tête rasée de ce chien, et la lame y entra