Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/213

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gage, il suivit don Garcia jusqu’à la porte de l’église, et vit les deux nobles demoiselles monter dans leur carrosse et quitter la place de l’église pour entrer dans une des rues les plus fréquentées. Lorsqu’elles furent parties, don Garcia enfonçant son chapeau de travers sur sa tête, s’écria gaiement :

— Voilà de charmantes filles ! Je veux que le diable m’emporte si l’aînée n’est pas à moi avant qu’il soit dix jours ! Et vous, avez-vous avancé vos affaires avec la cadette ?

— Comment ! avancé mes affaires ? répondit don Juan d’un air naïf, mais voilà la première fois que je la vois !

— Bonne raison, vraiment ! s’écria don Garcia. Croyez-vous qu’il y ait beaucoup plus longtemps que je connais la Fausta ? Aujourd’hui pourtant je lui ai remis un billet qu’elle a fort bien pris.

— Un billet ? Mais je ne vous ai pas vu écrire !

— J’en ai toujours de tout écrits sur moi, et, pourvu qu’on n’y mette pas de nom, ils peuvent servir pour toutes. Ayez seulement l’attention de ne pas employer d’épithètes compromettantes sur la couleur des yeux ou des cheveux. Quant aux soupirs, aux larmes et aux alarmes, brunes ou blondes, filles ou femmes, les prendront également en bonne part.

Tout en causant de la sorte, don Garcia et don Juan se trouvèrent à la porte de la maison où le dîner les attendait. C’était chère d’étudiants, plus copieuse qu’élégante et variée : force ragoûts épicés, viandes salées, toutes choses provoquant à la soif. D’ailleurs il y avait abondance de vins de la Manche et d’Andalousie. Quelques étudiants, amis de don Garcia, attendaient son arrivée. On se mit immédiatement à table, et pendant quelque temps on n’entendit d’autre bruit que celui des mâchoires et des verres heurtant les flacons. Bientôt, le vin mettant les convives en belle humeur, la conversation commença