Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/232

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Doña Fausta est mon enjeu ; vous, mettez sur table doña Teresa.

Don Juan, riant aux larmes de la folie de son camarade, prit les cartes et les mêla. Quoiqu’il ne mît presque aucune attention à son jeu, il gagna. Don Garcia, sans paraître chagrin de la perte de sa partie, demanda ce qu’il fallait pour écrire, et fit une espèce de billet à ordre, tiré sur doña Fausta, à laquelle il enjoignait de se mettre à la disposition du porteur, absolument comme il eût écrit à son intendant de compter cent ducats à un de ses créanciers.

Don Juan, riant toujours, offrait à don Garcia de lui donner sa revanche. Mais celui-ci refusa. — Si vous avez un peu de courage, dit-il, prenez mon manteau, allez à la petite porte que bien vous connaissez. Vous ne trouverez que Fausta, puisque la Teresa ne vous attend pas. Suivez-la sans dire un mot ; une fois dans sa chambre, il se peut fort bien qu’elle éprouve un moment de surprise, qu’elle verse même une larme ou deux ; mais que cela ne vous arrête pas. Soyez sûr qu’elle n’osera crier. Montrez-lui alors ma lettre ; dites-lui que je suis un horrible scélérat, un monstre, tout ce que vous voudrez ; qu’elle a une vengeance facile et prompte, et cette vengeance, soyez certain qu’elle la trouvera bien douce.

À chacune des paroles de Garcia le diable entrait plus avant dans le cœur de don Juan, et lui démontrait que ce qu’il n’avait jusqu’à présent regardé que comme une plaisanterie sans but pouvait se terminer pour lui de la manière la plus agréable. Il cessa de rire, et le rouge du plaisir commença à lui monter au front.

— Si j’étais assuré, dit-il, que Fausta consentît à cet échange…

— Si elle consentira ! s’écria le libertin. Quel blanc-bec êtes-vous, mon camarade, pour croire qu’une femme puisse hésiter entre un amant de six mois et un amant